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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3.

Les studios de Burbank étaient aussi labyrinthiques que prévu et Erik mit un temps certain à trouver les lieux exacts du tournage. Quand ce fut fait, il prit ses marques. Mills allait filmer plusieurs grands ballets de Nijinsky ; ce serait intense. Le matin du premier filmage, Erik disparut très vite car les danseurs devaient s'échauffer. Wegwood les attendait en coulisses. Mills, le metteur en scène plutôt effacé des débuts, n'était plus le même homme. Se tenant très droit, il parlait à des techniciens avec autorité et ne faisait preuve d’aucune timidité. L’équipe qui lui faisait face réglait le son et les éclairages sans que rien ne lui échappât et quand il fut tombé d’accord avec elle, il parcourut le décor pour être sûr que rien ne manquait. Le chorégraphe et le danseur principal étaient surpris de cette transformation mais au fond, elle les rassurait : on allait filmer Le Spectre de la rose et Mills saurait faire face. Il avait exigé que la présentation du ballet fût la plus conforme possible à la première, or, il y avait longtemps qu’on ne décorait plus ainsi une scène que les costumes des danseurs avaient changé…Il vérifia une fois encore que tout était parfait puis sortit du champ. Les lumières furent réglées et les danseurs entrèrent : il voulait s’assurer qu’eux-aussi étaient parfaits.

Adélia, la petite danseuse, portait un long tutu vaporeux et Mills qui la fit tourner sur elle-même, fit un signe d’assentiment avant de regarder Erik. Celui-ci était magnifique ; il avait de quoi être saisi. Le beau visage aux traits symétriques avait une expression à la fois douce et grave que le maquillage forcé à l'extrême rendait singulier. Le teint était pâle, tout en rose et en blanc, les yeux étaient cernés de khôl et n'en paraissaient que plus bleus et les lèvres était plus rouges que roses. Ce visage pourtant couronné d'un joli casque de fleurs inspirait le respect que l'on doit à la poésie et à la beauté et nul dans l’équipe de tournage ne le prit en dérision. Ce n'était pas le visage d'un être efféminé, c'était une sorte d'apparition si délicate et en même temps si présente que tous furent violemment charmés. Erik portait le costume du jeune spectre. Des fleurs étaient peintes sur sa tenue et d'autres étaient cousues. Il avait placé sur ses bras des bracelets de fleurs et il se dégageait de cet ensemble rose et vert une harmonie totale. Il se tenait droit avec cette rigueur que la danse impose et personne ne pouvait rester indifférent face à ce corps fin mais ferme, à cette musculature de danseur qui était le fruit de longs exercices et à ce port de tête si significatif d'un être plein de distinction. Et il avait des chaussons de danse. Mills, hors champ, donnait des conseils à ce danseur à qui le monde du cinéma était inconnu. Erik les recevait avec humilité mais semblait sûr de lui. Pourtant, peu après, sa fragilité parut. Que craignait-il ? Qu'on se contentât de le prendre pour un joli jeune homme ? C'était impossible. Qu'on ne comprît pas qu'il montrait la beauté ? C'était plausible mais encore peu recevable. Alors qu'y avait-il ? Wegwood n’avait pas de réponse et se contenta de le regarder longuement. Cela parut suffire. Tandis qu'il se plaçait face à la caméra avec sa danseuse, il parut en lutte avec lui-même. Lentement l'inquiétude recula et il ne resta plus que l'esprit de la fleur, son essence, sa beauté diffuse. Il fit un signe de tête. Mills vérifia le cadrage. Seul Erik semblait lui importer. Les danseurs disparurent de nouveau. Mills voulait filmer l’intégrale d’un ballet magique : ils allaient la lui donner.

La scène était vide et peu éclairée. Il y avait deux grandes fenêtres latérales, un canapé près de la fenêtre de droite et un grand fauteuil au centre de la scène. C'était conforme à Bakst. Adelia, la ballerine entra par le côté gauche. Elle portait une longue robe de ballerine, toute blanche et un manteau mauve et blanc. Bakst toujours. Et elle avait une très jolie coiffe de dentelle. A son corsage, une rose.

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