Erik N / Le Danseur. Partie 2. Erik : quitter New York pour la Californie.
Erik tenait à passer seul ses derniers jours à New-York. L’avant-veille de son départ, Il revint chez lui vers seize heures, lut, regarda un film puis se concocta un petit dîner qu'il comptait accompagner d'un verre de champagne. Une heure plus tard, il avait compris : ça ne servait à rien. Tous ces mois de souffrance silencieuse, cette volonté d'être dans l'oubli n'avaient pas été libératrices. S'il connaissait un certain apaisement, il le devait à la chasteté qu'il avait cultivée ces derniers temps. Elle se révélait bien moins vaine que ces rencontres nocturnes qui avaient rempli son ordinaire peu après le Bronx et continuaient de le marquer. Elle lui permettait de se reconstruire et d’avoir de lui-même une image qui n’était plus dégradée Cependant, s’il s’apprêtait à partir plus serein en Californie, il lui resterait bien des doutes et des questionnements. Seule la confrontation avec Julian pourrait les apaiser, il le savait depuis des semaines mais, pris dans des souvenirs négatifs, il n’avait pris aucune résolution. Depuis quelques jours cependant, la tentation d’appeler son ami était grande et son départ devenant imminent, il ne put s'en empêcher. Le décorateur n'était pas chez lui mais il lui dit son départ proche mais pas la raison de celui-ci. Il l'invita à dîner. Il crut à vingt heures que l'appel était tombé dans le vide mais au moment où il le pensait, il entendit la sonnerie de l'interphone. C’était Julian.
-Cinquième ?
-Oui.
Quand le décorateur s'avança vers lui, Erik entrevit une silhouette altière mais un peu amaigrie. La voix, qui pouvait être hautaine et cassante se révéla humble :
-Bonsoir, Erik. Le hasard a fait que je suis rentré tardivement chez moi. Ton message m'y attendait. Je suis donc reparti aussitôt. J'arrive sans prévenir...
Et comme le danseur demeurait interdit, la même voix déférente reprit :
-Je n’ai trouvé que des fleurs. Des orchidées. Elles t’attendront…
Il n’était pas si difficile de croiser son regard et Erik le fit bravement, s’étonnant de son absence d’hostilité. La voix s’élevait, toujours, très mesurée.
-Tu aurais dû t'habiller comme moi et mettre des chaussures à lacets. Tu les fais souvent mal. J'aurais fait cela pour toi. Les refaire.
-Pour te mettre à genoux ?
-Je ne m'en relève que mieux. Regarde…
Erik ne répondit pas et Julian refit les mouvements qu’il avait faits à Copenhague, obligeant son ami à le faire se relever. Se trouver ainsi face à face avec cet homme qu'il n'avait plus revu depuis cette pénible discussion à Central Park suffoqua Erik qui continua de ne rien dire, ses yeux clairs rencontrant le regard de Julian. Toujours cruellement observateur, celui-ci recula et le dévisagea
-Toujours beau et plein de classe, Erik. Tu portes des vêtements que je n'ai pas offerts mais c'est très bien. Rien à dire.
Le jeune homme laissa son ami parler pour deux :
-Que de tensions ! Elles se lisent sur ton visage. Comme ça, nul besoin de les commenter.
La voix du décorateur était encourageante.
-Allons, mon danseur, dis-moi un peu les choses.
-Je ne t’ai pas demandé de venir pour parler de ce qu’il y a eu. Je ne crois pas que ça servirait à quelque chose. J’ai pris un peu de recul et toi-aussi, je pense.
-C’est exact, plus ou moins en tout cas. C’est donc ta carrière ? Il y a un problème ?
-Ma carrière ? Non, il n’y en a pas.
-Quoi d’autre, alors ?
-Je vais te le dire.
-Tu pars, je le sais cela !
Julian parcourut du regard l'espace qui l'avait créé et il parut content. Tous ces meubles clairs, ces éclairages indirects. Un bel espace aérien, serein, mêlant l'intime au ciel qui entrait par les grandes baies vitrées et la danse à l'intime : c'était bien pensé. Avoir mis des barres et des miroirs dans un loft ! C'était si inattendu.
-Un espace pour le rêve. On est au ciel. Ta mère a vu juste.