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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
7 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 2. Julian et Erik. Un film ?

 

Le décorateur portait du brun, un brun luxueux à base de cachemire mais bien que plein de prestance, il semblait plus sobre, comme dépouillé de toute flamboyance. Il s'assit sur la banquette que lui désignait Erik et se montra surpris quand celui-ci lui tendit une coupe de champagne.

-Tu vas tourner un film ? C’est pour cela ?

-Oui, j’ai pris un congé de sept semaines.

-Un film sur Nijinsky.  C'est ambitieux.

-Ils sont très déterminés. Mills et Wegwood.

-Wegwood, je situe. Et l'autre ?

-C'est le metteur en scène. Je ne l’ai vu que deux fois, ici. On a surtout parlé au téléphone. J'ai le scénario. Je ne cesse de le lire.

-Tu leur fais confiance ?

-Oui.

-Tu vas jouer Nijinsky ?

-Non, non, je ne pourrais pas cela, ne serait-ce que pour la ressemblance physique ! Je vais jouer un danseur qui est amené à tourner un film où il danse les rôles de Nijinsky et dit les textes du Journal. D'autres aussi. C'est un scénario ambitieux mais comment dire non ? Ce danseur, Irina Nieminen m'en parlait à Copenhague. Chez elle, il y avait tant de photos ! Il y en avait de lui ! Et puis, j'ai dansé Le Sacre, La Rose, Jeux. Tu sais, j'y pense beaucoup. Ça sera une vision différente. C'est peut-être une chance.

-Une chance ?

-La Danse, c'est lui ! Irina disait cela et chez elle, il y avait des photos des ballets russes partout et elle en parlait beaucoup ! Les premières photos que j'ai vu de lui, c'était chez elle. On n'est pas danseur longtemps. Je veux savoir. Je veux savoir qui il était et comment il dansait. Je veux me rapprocher de lui. Je le voulais depuis longtemps, je crois. Wegwood ne me dirigera pas de la même façon. On va chercher et si on y arrive, on le trouve, lui !

Cette fois, le regard de Julian changea : il scrutait le danseur professionnel.

-Tu es resté très bien sur scène ; mais te voir filmé quand tu danses, ça me rend curieux…

-Tu n'as pas peur ? Ce projet te permet de quitter New York mais ce sont des enjeux forts. Si le film est un four, je te connais, tu t’en voudras. Et s’il a du succès, tu seras sur la sellette et là aussi, ce sera difficile.

Erik eut un sourire indéfinissable et ses yeux brillèrent. Il désarma Julian :

-Si c’est un échec, ce ne sera pas l’Enfer, ou alors, celui de l'Antiquité. Celui d'Orphée, tu sais. On peut en ressortir. Au contraire, si le film marche…

-Tu te rapprocheras du paradis ?

-Je l’espère !

-Avec qui comptes-tu y être ?

-Les Rois et les Reines de la danse !

Cette fois, Julian se mit à rire et finit sa coupe. Erik le resservit et but lui-aussi. Le champagne rendait ses yeux brillants.

-J’ai préparé un dîner.

-Oui, tu m’as dit.

-Ce film est une merveilleuse opportunité pour toi : Nijinsky !

-J’ai hâte d’être en Californie. J’espère ne pas me tromper.

-Non, beau jeune homme, je ne le pense pas.

Le danseur disposa sur la table des assiettes de poisson froid, sobre et raffiné. Son visage, pris dans une lumière indirecte, apparaissait comme une découpure à Julian qui, de l'autre côté de la table, l'observait. Il n'était plus celui qu'il avait connu en Angleterre, beau, jeune et distant et plus non plus le jeune danseur qui vivait à New York, parce qu'il avait rencontré la culpabilité, la violence des désirs contradictoires et la solitude. Il y avait une sorte de distinction qui était apparue, un côté volontaire qui s'était affirmé et moins d'immédiate séduction mais sa beauté, même transformée était impressionnante.

Ils dinèrent et burent encore.

-Délicieux…

-Il y a du gâteau aussi…

-Oh Erik !

Isabel, qui se tenait en retrait, observait Julian depuis son arrivée mais ne s’avançait pas vers lui. Il semblait lui inspirer de la méfiance.

-Que vas-tu en faire ?

-Des amis la prennent en pension.

-Pas moi !

-Trop de choses à griffer. Ton intérieur est si beau…

Julian hocha la tête avec bienveillance.

-Elle t’a aidé ?

-Oui, depuis que je l’ai trouvée, elle m’aide. Elle aime bien quand je travaille à la barre.

De nouveau, Julian se mit à rire. Plus tard, après le dessert, Erik fit une demande : Julian acceptait-il de lire le scénario ? Celui-ci accepta mais montra des réserves.

-Il est volumineux et ça va prendre du temps…

-Prends-ton temps. Tu peux rester.

Comme il se mettait en lecture, le danseur partit ranger les restes du dîner puis alla se doucher. Quand il réapparut, son ami lui dit :

-Il me reste encore à en lire la moitié. Ce que j'ai lu est très bien. Je suis surpris. C'est très travaillé, brillant en fait. Ce départ très réaliste et cette évolution vers l'onirisme...

-Continue de lire.

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