Erik N / Le Danseur. Partie 2. Revoir Erik , juste avant la Californie.
Erik, se tenait de profil. Par les grandes baies vitrées, il contemplait les lumières de Manhattan ; la nuit vibrait. Se sentant observé, il se tourna et adressa un sourire à Julian.
-Oui, je continue.
Julian le contempla un instant puis se remit à lire. Les grandes baies vitrées qui donnaient sur la ville plongeaient le loft dans une délicate pénombre et des lampes brillaient çà et là. Il régnait une étrange atmosphère aussi concrète que poétique. Les contours des meubles, les piliers qui soutenaient l'édifice tout autant que les tapis et les tableaux disposés çà et là créaient une ambiance déroutante.
-C'est très beau, ici. Tu as su créer un décor simple et poétique.
-Oui, ça m'apaise beaucoup.
Julian se remit à lire mais s’arrêta encore et dit :
-Je ne sais quelle envergure ce « Mills » a comme metteur en scène mais il est à l’origine d’un scénario très bien construit, les dialogues se tiennent. Ce sera une belle expérience. Mais malheureusement…
-Malheureusement ?
-Je ne peux pas finir maintenant. Je vais te laisser. Tu es à la veille d’un grand départ.
-Non, non ! C’est important. -Tu peux rester mais sois fraternel.
-Fraternel ? Est-ce à propos ?
-Mais oui, tu peux dormir ici.
-Il n’y a que ton lit.
-Et bien, tu auras sommeil une fois que tu auras fini de lire ce scénario. Et moi, je dormirai déjà.
Julian était stupéfait. Devait-il accepter ? Le champagne l’avait plongé dans une douce langueur ; il refusa d’intellectualiser et accepta spontanément.
-D’accord.
Erik passa dans la salle de bain dont il ressortit les cheveux mouillés. Il se les essuya avec une serviette éponge. Il portait un pantalon de pyjama blanc et un t-shirt à manches longues, blanc également : c'était une belle image simple et le décorateur la trouva belle.
-Il y a ce qu’il faut dans la salle de bain. Cherche dans les placards.
-Tu es plus mince que moi…
-Je t’assure, tu vas trouver.
Cette fois, ils riaient tous deux. Julian revint tout en brun et trouva cette fois Erik allongé sur son lit dans une pose d'enfant sage et rêveuse. Julian fut surpris de le trouver si abandonné, prêt au sommeil.
-Je ne vais pas te déranger ?
-Non, tu vas lire.
-Tu vas vraiment dormir ?
-Mais oui ! Les deux nuits dernières, j’étais agité à cause de ce film. Je ne tenais pas en place.
La douceur d’Erik le surprit. Il s’était mis dans les draps et fermait les yeux. Comme il l’avait dit, Julian termina la lecture du scénario et se dit qu’Erik serait chanceux si le metteur en scène était doué et que le film ne se heurte pas à un problème de distribution. Comme il se faisait ses réflexions, il vit la chatte Isabel venir se lover contre Erik et se mettre à ronronner. Lui-aussi s’allongea. Il n’y avait aucun rideau nulle part et l’éclat de New York entrait dans la chambre : c’était insolite. Comme il peinait à trouver le sommeil, il dit à mi-voix :
-Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme toi, si ravissant et si buté, si charmant et si concentré, si créatif et si obstiné. Surtout, je n'ai vu quelqu'un qui ait une telle volonté et une telle passion pour la Danse, une telle humilité face à cette passion, un tel abandon de soi. Maintenant, il est des vérités paradoxales. Je t'ai désiré et je t'ai attiré et je t’ai exaspéré avant de te frapper. La logique serait de te dire que je suis navré, que je me vomis d'être ainsi. Mais c'est faux. C'est parce que tu es ainsi que ma vie a du sens et tu éveilles en moi un amour si fort. Tu comprends ? Je te ne ferai plus de mal, seulement du bien, enfin si j'y arrive...
Mais Erik, il s'en rendit compte, avait une belle respiration régulière. Dans la pénombre, son visage était lisse et calme ; endormi, il avait un léger sourire sibyllin.
-Ah tu ne sais pas ce que j’ai dit !
La chatte, elle, avait entendu. Elle ronronnait plus fort. Julian resta longtemps les yeux ouverts dans ce singulier appartement mais son inquiétude et sa crispation s'en allèrent et il s’endormit, lui-aussi.