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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
7 avril 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 2. Tensions et apaisement. Julian et Erik.

 

Toute dureté disparut du visage de Julian. Le danseur, son danseur, était un homme à la fois très seul et redoutablement fort.  Posant sur le jeune homme défait un étrange regard non dénué de compassion, il dit :

-Et il faut y remédier ?

-Oui. Il faut le faire.

-Tu as dû être tourmenté, mon Erik mais on dirait que tu n’es plus dans la confusion.

-Je n’y suis pas sur scène. Je vis !

-Alors, c’est sur cette terre… Il va bien falloir que des réponses t’apparaissent car là, il y a beaucoup de questions...

-J’attends ; quelque chose va arriver.

-Tu penses ?

-Oui.

Erik, qui s’était apaisé, se leva.

-Je regrette, Julian. Je n’arrivais pas à avoir avec toi une relation normale et j’étais excédé.

-Il ne faut pas confondre la normalité qu'on tente d'ériger en modèle et ce que nous sommes. Tu crois que ce qui vient de nous arriver rien à voir avec l'amour ? Pour beaucoup de monde, non mais pour moi, si.

-Franchement, je ne sais pas.

-Ta carrière est très belle. Et tout en toi est beau. Si beau. Ne l'oublie pas. Je t'admire. Au revoir bel Erik.

-Au revoir Julian.

Erik mit longtemps à rentrer chez lui. La circulation n’était pas si dense mais il ne dansait pas ce soir-là et voulait errer sans but. Quelques semaines plus tard, il était dans une belle librairie new-yorkaise et il lut dans un roman dont il fit l'achat une phrase qui le troubla profondément :

« La honte n'a pas pour fondement une faute que nous aurions commise mais l’humiliation que nous éprouvons à être ce que nous sommes sans l'avoir choisi, et la sensation insupportable que cette humiliation est visible de partout. » 

C'était une journée d'octobre assez belle, avec un arrière-goût d'été indien. Renversant la tête en arrière pour que le soleil caresse son visage, il pensa à Julian et à lui-même et il dit : « oui, bien sûr que oui ! ».

Dans le même temps, il lui sembla entendre le Bostonien au visage dur. Il ne prononçait qu'une seule phrase, toujours la même et il disait : « Je t'aime ». Et, chaque fois qu'il la prononçait, tout le monde se retournait. Ce devait être aussi parce que lui, Erik, disait, de gré ou de force, « Je t'aime aussi ».

 

Après cette entrevue, Erik fut triste d'emblée et cela se vit. Il alla aux entraînements et aux répétitions et évita de penser. Il fit de même des jours durant. Le midi, il prenait un en-cas avec des danseurs, et le soir, il rentrait en bus, car c'était plus long et qu'il appréhendait de se retrouver seul. L'automne semblait déjà fini, à croire que l'hiver voulait prendre très tôt le pouvoir. Il buvait du thé très chaud sous sa couette en regardant des émissions dont il ne savait pas le nom et quelquefois, il acheta du vin et des alcools forts et but beaucoup. Longiligne, blanche, avec son œil gauche auréolé d'une grande tâche rousse, Isabel le rappelait à l'ordre. Le voyant boire dans l'obscurité, elle miaulait et se frottait à lui avant de le mordre. Comme elle enfonçait davantage ses crocs dans son poignet, il la tapa. Elle gémit et il eut mal. Il alla la chercher sous le fauteuil où elle s'était réfugiée et il la câlina en retenant ses larmes.

-Tu vois, lui dit-il, quand tu vis ce que je viens de vivre, ça veut dire que tu es mauvais au dedans de toi !

La chatte posait sur lui sur lui ses yeux jaunes ;

-Il y avait des choses en moi, tu sais, je pensais qu'elles seraient bien cachées. Mais il y a des gens qui sont patients, ils creusent longtemps et ils trouvent, ils trouvent ce que tu ne voulais pas montrer.

La chatte, blottie contre lui, ronronnait :

-Toi, tu es tout d'une pièce ! Moi, plusieurs pièces !

Il caressait la tête de sa chatte :

-On me dit d'être bon danseur, très bon danseur même. On me dit d'être beau. On me demande d'aimer les femmes car c'est plus normal mais d'assumer mon attirance pour les hommes car je ne dois pas mentir. Je suis atteint quand on est cruel mais je ne dois pas le montrer parce qu'ils attendent de moi que je sois un danseur inaccessible à tout sentiment négatif. Je dois être l'ange qui garde un des temples de l'Art. Ta vie est simple, Isabel, on change ?

Elle dormait près de lui en boule qu'il parlait encore. Il perdit le sommeil mais était prêt à la bonne heure pour partir et il prenait le métro.

-Personne ne doit plus prêter attention à moi et de toute façon, je suis devenu transparent !

Il continuait de travailler, d’enchaîner les exercices puisqu'on le lui demandait et au moment des pauses, il restait seul.

-Transparent.

Pendant les répétitions, il se concentrait. Pendant les représentations, il était ce qu'on voulait de lui : parfait. C'était les dernières du Sacre et il fut soulagé que les représentations s'arrêtent, non parce que le succès n'était pas au rendez-vous mais parce qu’hors de lui-même, il craignait de décevoir. Le soir de la dernière, il se dit fatigué et rentra chez lui. Il ne dormit pas cinq minutes. Le lendemain, il était en pause.

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