Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik en Californie. Nouvelles perspectives.
Mills et la production avaient tout prévu : lieux de répétitions, salles de travail, logements et divertissements. Soucieux de leur faire découvrir sa ville, il promena Christopher et Erik dans les quartiers les plus pittoresques de sa ville et fit des commentaires avisés. Sur Hollywood boulevard, en voyant les multiples étoiles d’actrices célèbres, de comédiens vedettes et d’autres célébrités du cinéma, Erik fut ému. L’Amérique, vraiment ! Et la Californie surtout ! Ce qu’il en voyait le faisait rêver et c’était un climat de rêve. Nicolas ressemblait davantage à un étudiant boutonneux qui ne sait pas s'habiller et rate ses examens qu’à un sémillant metteur en scène. Il n'était pas très grand, était loin d'être mince et portait des t-shirts informes et des jeans fatigués. Il était affublé de grandes lunettes dont il ne semblait jamais nettoyer les verres. Ça aurait pu être un personnage de bande dessinée s’il n’avait eu une vision très claire du film qu’il voulait tourner et une connaissance de la danse classique bien plus solide que ce qu’il laissait paraître. Et pour finir, sur Nijinsky, il était pointu.
-Bon, je vous ai montré tout ce qu’un touriste bon teint est en droit d’attendre de Los Angeles. Pour le reste, il faudra vous débrouiller tout seuls. Maintenant, on travaille.
Et rapidement, ce fut le cas. Le chorégraphe et ses danseurs répétèrent dans un studio qu’on leur alloua. Seul Erik venait de New York. A l’habitude, il connaissait ses partenaires de scène. Comme ce n’était pas le cas cette fois-ci, il devait se familiariser avec eux. Caroline Flint avec qui il danserait le Spectre de la rose et Adelia Estevez qui serait sa partenaire au même titre que Margaux Jones pour Jeux étaient présentes ainsi que les danseuses qui interprèteraient les nymphes dans l’Après-midi d’un faune. Tout devait être au point pour le filmage. Il fallut donc travailler dur ; Erik le fit tout comme les autres. Le fait d’être dans un contexte si exotique le galvanisa.
Avec Sandra Taylor, Erik reprit les exercices de diction qu’il avait commencés à New York. Il fut surpris que cette femme entre deux âges, encore fort belle, lui demanda bien plus que son professeur précédent.
-Vous devez non seulement vous exprimer clairement en ayant une diction parfaite quand vous allez aborder les textes de Nijinsky et pour cela vous devrez faire preuve d’emphase ; mais bien sûr, il vous faudra paraître naturel quand, dans le film, vous évoquerez votre métier de danseur et ferez passer votre amour pour cet art. D’un côté, vous rendrez compte et de l’autre vous devrez donner l’impression que vous vous exprimez spontanément alors que tout sera écrit à la virgule près. Il vous faut donc deux types de phrasés…
Mills, Erik l’avait compris, devrait entremêler les scènes où Erik parle des ballets qu’il travaille, celles où il fait des étirements, travaille à la barre, longtemps et seul et celles où son chorégraphe le met en scène. Il devrait saisir les interactions entre le chorégraphe, Erik et les autres danseurs qui interviendraient à divers moments. Et enfin, il faudrait qu’il le montre autre quand il lui ferait réciter des extraits entiers du Journal de Nijinsky. Le budget du film n’était pas extensible. Tout devrait être au point avant le transfert de l’équipe à Corona del Mar, une ville balnéaire ou la supposée troupe d’Erik serait filmée entre préparatifs et farniente.
Tout était au point semblait-il, même si Sandra Taylor regimbait beaucoup. Elle était actrice de formation et ne trouvait pas Erik convainquant. Comme elle l’invitait à dîner, ce qui le surprit beaucoup, Erik admira le restaurant en terrasse qu’elle avait choisi et sa merveilleuse vue sur la gigantesque ville ; il le fut moins quand Sandra posa sa main sur la sienne. C’était donc pour cela qu’elle ne le trouvait pas assez bon ? Elle devait vouloir le faire progresser en privé. Quand, un peu confus, il fit des confidences à Nicolas, celui-ci pouffa de rire.
-Erik, les Californiens aiment l’exotisme ! Tu as cédé ?
-Mais non.
Le metteur continua de rire.
-A toi de voir.
-Non, mais c’est tout vu.
Le danseur régla ce problème en maintenant ses distances face à Sandra, qui dut reconnaître la ténacité d’Erik : il tenait compte de ses conseils et s’en tirait de mieux en mieux. Toutefois, le danseur se trouva face à un autre écueil. Il fut présenté à Alec Baldwin, le producteur. Christopher et Nicolas étaient présents lors de ce dîner.
-C’est une entreprise ambitieuse et compliquée que celle de ce film. Moi, je voulais un danseur et un comédien ! C’était trop compliqué. Cependant, vous devez tout à la fois être un jeune danseur rieur et un autre qui se tend tellement vers Nijinsky qu’il en vacille. Vous devrez faire plus qu’évoquer le danseur mort. Et puis, quand vous direz les textes du Journal, vous devrez montrer des interférences entre la vie de cet humble danseur et celle de celui qui est désormais une icône ! Enfin bon, nous sommes exigeants en Amérique ! Vous devez le savoir d’ailleurs car vous y travaillez.
Mills parla ensuite de la façon dont il allait imbriquer les scènes de danse, les répétitions, le travail individuel d'Erik et les textes du Journal. Il parla de la musique. Il aurait bien sûr Stravinski, Debussy et Von Weber mais de la musique contemporaine qui accompagnerait le parcours du danseur. Wegwood fit une mise au point sur son travail de chorégraphe. Enfin, Kyra Nijinsky fut évoquée. Baldwin voulait qu’elle parût dans le film après le filmage de Jeux, elle-même insistant pour commenter ce ballet méconnu. Elle était pour l’instant d’accord mais il y avait de quoi être inquiet. Depuis que le projet avait vu le jour, elle s’était fait une spécialité des allers et retours. Elle avait un caractère heurté et, on devait l’admettre, une santé psychique précaire. Il y avait bien une alternative qui consistait à filmer Tamara, la seconde fille du danseur russe mais celle-ci, cependant, n’avait fait qu’entrapercevoir un homme malade alors que l’autre l’avait côtoyé. Toutefois, le producteur fut clair. Elle avait signé un engagement. Au besoin, on insisterait pour qu’elle le respecte. Il craignait que Mills n’insiste sur son exotisme…