Erik N / Le Danseur. Partie 1. Irina et Erik. Pousser la danseur à quitter le Danemark.
Il n'en fut pas de même avec Irina Nieminen. Elle avait paru d’abord très occupée mais tout d’un coup, elle voulait le voir ! Elle l’invita dans un restaurant chinois. Il la trouva acerbe.
-Vous êtes radieux n’est-ce pas ? Un triomphe en Angleterre et ce retour au pays !
-Évidemment que je suis radieux !
-Soyez prudent ! Ne commencez pas à vous comporter comme un de ces mondains que vous avez dû si souvent rencontrer. Allez-vous en rester là ? Aurez-vous le courage de faire le chemin qui vous reste ? Vous pouvez être engagé sur des scènes internationales comme danseur étoile. Allez-vous-en !
-Qu'est-ce à dire ?
-Quand je vous ai formé, j'ai su : une trajectoire peu banale vous attend, si vous consentez à l'accepter !
Irina qu'il trouvait vieillie portait un tailleur rouge-foncé et un étrange petit chapeau. Elle était bien maquillée et bien coiffée mais Il ne lui trouvait plus la superbe des premiers temps.
-Je suis jeune, ambitieux. Je ne comprends pas. Pourquoi ne pas me laisser danser au Danemark ?
Irina eut un rire déplacé.
-Si vous restez ici, vous représenterez le Ballet royal danois à l'étranger et considérerez que tout va très bien. Articles élogieux, célébrité locale, argent. Et parfois un discours de fin d'année dans une école de danse...
-Vous êtes moqueuse. J’aime Hannah Herman.
-Et vous faites votre petit garçon sage ! Mais sage, vous ne l'êtes pas ! Vous ne savez encore rien ! Ces choses-là ne sont pas simples, on souffre beaucoup ! Acceptez, vous verrez. Vous deviendrez « grand ». On ne le saura pas tout le temps de vous et on sera très dur parfois. Je voudrais que vous acceptiez cette éventualité : vous vous croyez déchu et vous êtes grand. La neige et la boue ! Monsieur Anderson, prenez une décision ! La neige et la boue !
-Pourquoi êtes-si impérative ?
-Décidez maintenant !
Madame, vous parlez fort, vous me parlez mal !
-Et vous, jeune idiot, vous êtes sourd !
On se retourna sur eux dans le restaurant et il fut mal à l'aise. Elle se mit à parler finlandais très vite et très fort et il eut peur pour elle. Puis, elle cria :
-Clown !
Il rougit.
Elle fut prise d'un grand éclat de rire et il fit signe au serveur pour l'addition. Dans le taxi qu'ils prirent pour la raccompagner, elle fut mutique. Elle semblait très énervée. Il tint à la réinstaller dans son appartement et le trouva rassurant : les mêmes meubles, les mêmes livres et le mur d'images : ces compositeurs, ces chorégraphes, ces danseurs et ces célébrités qu'elle avait côtoyées. Il restait des toiles qu'il connaissait et il découvrit de nouveaux tableaux. Il conduisit Irina à sa chambre qui était devenue monacale : petit lit blanc, murs blancs, petit chevet avec lampe, plafonnier et icônes de la Vierge au mur. Quand il l'eut allongée, il se crut délivré mais elle lui prit les mains et le serra violemment. Elle cria presque :
-Pas clown longtemps ! Génie ! Génie !
-Calmez-vous, madame. Où est Oleg ?
-C’est la troisième fois que vous me le demandez ce soir. Il habite ailleurs et il voyage souvent.
Il mit longtemps à libérer ses mains.
Les jours suivants, il fut mal à l'aise. Elle était en détresse et aurait peut-être souhaité qu'il revienne la voir mais il ne le fit pas. Elle avait été provocante. Il crut couper les ponts mais n’y parvint pas. Elle continua de l’appeler, criant souvent.
Julian et lui s’écrivirent encore. Julian. Quand celui-ci quitta Londres pour New-York, le ton changea et Erik en fut secrètement réjoui. Ils parlèrent de leur travail et de leurs aspirations. Julian il avait ce qu'il voulait : un gros contrat à l'Opéra de New York pour lequel il avait auparavant travaillé ponctuellement. Il était fier de sa réussite et encourageait son ami à être ambitieux. Il existait, dans le monde, quelques très grandes compagnies. Discrètement aiguillonné par Irina et cet ami américain au charme persuasif, Erik décida de viser plus haut que le Ballet danois. Le hasard le servit magnifiquement. Le nouveau directeur artistique se trouvait bien connaître Peter Martins et il arrivait à ce dernier de revenir dans son Danemark natal. Comment des vidéos des spectacles où Erik brillait arrivèrent-elles à Martins et de quelle diplomatie Henning Kromstam dut- il faire preuve, il ne le sut jamais vraiment. Mais il rencontra à Copenhague le directeur du New York city Ballet et joua son vatout. Il fut question très vite d’un engagement d’un an. Erik fut ravi mais il ne dit rien d'abord à Julian. Leur ambition et leur sens de l'esthétisme les avaient fait se tendre l'un vers l'autre mais ils s'adressaient depuis quelques temps des appels plus intenses Julian évoquait sa jeunesse studieuse, son amour des arts et son indéfectible sens du travail en laissant affleurer son attente d'un amour. Erik disait ses projets : il lui restait tant de rôles à explorer ! Lui-aussi se montrait ouvert à l’amour. L'un et l'autre étaient bouleversés par ces messages si beaux qu'ils s'envoyaient tout en restant en surface mi- rieurs, mi- sérieux ; aucun des deux n'était direct. Mais tout se précipitait…Il renoua avec Irina qui le couvrit de louanges. C’était bien l’engagement prestigieux qu'elle estimait nécessaire pour lui ! Quant à Julian, il fallait le prévenir mais Erik n’en eut pas le temps. Le décorateur annonça une visite impromptue au Danemark. D'ici peu, il serait dans l'avion. La teneur de sa missive était la suivante :