Erik N / Le Danseur. Partie 2.
-Tu me convoites, je ne peux pas le supporter. Tu es tellement sûr de ce que tu veux car tu es dans ton droit ! Et tu crois que grâce à lui, tu vas faire que quelqu'un que va changer, se tourner vers toi ! Tu es tellement habitué à posséder et à considérer que c'est naturel !
-Je ne te convoite pas. Je t'aime, c'est différent.
-Eh bien moi, je ne t’aime pas, même si j’ai cru le contraire. De toute façon, tu négliges des aspects importants de ma personnalité.
-Vite, un exemple !
-Mon attirance pour les femmes.
Julian contre attaqua. Le dos droit, raidi, il serrait les poings. Dans la colère, il restait plein de lui-même. Lui résister était difficile :
-Ton attirance pour les femmes, on en parle ? Il y a cette Sonia et Jane Hopkins, c’est bien cela ? Tu es nostalgique d'elles ? La première ne sait même plus comment tu t'appelles. La seconde se caresse en regardant une photo de toi ! Elles sont quoi ? Une garce et une image pieuse. Moi, j'ai passé du temps avec toi à Londres et en Amérique. Ta nature, je la connais. Tu ne la supportes pas. Je ne veux pas de ta condescendance ! Tu ne ferais pas n'importe quoi pour ne pas être face à toi-même par hasard ?
-Tu vois ! Tu attaques ! C’est toi qui as raison, c’est toi qui me connais. Tu es en train d'essayer de me faire croire que les sentiments que je te porte sont si accablants qu'ils me poussent à faire n'importe quoi ! Toi, tu es droit mais moi non ! Tu te trompes. Ces deux femmes m’ont marqué. Tu ne peux toucher ni à ce qu’elles ne sont vraiment ni aux souvenirs que j'ai d'elles car je te l'interdis ! Quant à l’amour ! Je crois davantage à celui que je pourrais éprouver pour une femme ! Entre hommes, c’est étouffant ; ça l’a été dès le début avec Mads. Et avec toi aussi. Mais t'aimer ! On est trop similaires. Et puis, aimer ne se programme pas ? Je dois t'aimer car tu as des sentiments pour moi et parce que tu m'aides en étant mon sauf-conduit américain ? Dans cet « amour », il y a des facilités qui sont irrecevables.
Julian ne désarma pas :
-Le fait est que je t'aime. C'est un sentiment violent. Je n'ai jamais rien connu de tel et ça n'autorise pas grand-chose. Erik, j'ai tellement espéré, attendu quelqu'un comme toi ! Tu es si fermé maintenant que je doute d’obtenir quoi que ce soit ; mais ça n’empêchera pas l’amour. J’ai eu une vraie dévotion pour toi et je ne veux pas la renier.
Erik était trop mis en cause par un discours si intense et si vrai. Ne pouvant le recevoir comme tel et ne voulant que fussent mises en cause ses belles résolutions, il fut cinglant de nouveau :
-Julian, même sexuellement, ça ne peut pas aller. J’aime mieux qu’on soit plus grossier et plus efficace. Tu es trop snob, c’est peut-être cela. Tu me suggérais de découvrir les talents des étalons américains, je l’ai fait ; et je n’oublie pas les femmes : elles étaient très décidées ! Peu de discussions, beaucoup d’actions.
-Va-t’en.
-Et si je ne le fais pas ?
-Tu es américain ? Non, mais moi si. Tu as introduit chez moi des inconnus. Ne m’oblige pas à te chercher des ennuis. Contrairement à ce que tu affirmes, il y a eu des vols et des dégradations…Alors, Erik, tu ne devrais pas me parler comme ça. Si je te porte plainte, tu n’auras pas raison.
Cette fois, le danseur s’arrêta. Julian poursuivit :
-J’ai un réseau à Boston et un autre ici. Même en tant que danseur, je te suggère de faire profil bas. Les Américains sont, malgré tout, des puritains. Un artiste, plus encore s’il est étranger, doit être lisse…
Ils avaient parlé dans le salon et sur la terrasse et là, dans la belle lumière d'une fin de journée de juin, ils regardaient le ballet des oiseaux au-dessus des arbres de Central Park. Julian était livide mais fort. Erik, lui, changea d’attitude. Il parut soudain dessaisi de toute colère et redevenu calme, et alla rassembler ses affaires. Puis il dit :
-Ce que je veux, je pense vraiment que tu ne le sais pas. Tu n'es pas le danseur que je suis et tu n'es pas l'amant que je suis et à cela, tu ne peux rien. Tu as un rêve. On dirait qu'il est blond. Danseur, peut-être, certainement comédien... Mais on dirait aussi que ce n'est pas moi. Je suis désolée. Je vais t’envoyer de l’argent pour ce qui est cassé ici et si ça ne suffit pas, fais-le moi savoir.
Julian sembla comme s'affaisser sous le choc mais il resta silencieux un instant, puis il s’exclama :
-Et donc tu pars !
Comme Erik s’en allait, le décorateur vint vers lui et lui tendit une feuille cartonnée sur laquelle figurait une adresse.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Adamsson. Peter Adamsson. Queens. 977 652 1014. Il fait des chaussons sur mesure. C’est la même chose que les tiens…
Erik se sentit honteux. Il salua Julian qui lui répondit avec peine. Une fois parti, il se rendit compte que Sonia et Mads ne pesaient aussi lourds. Jane rayonnait toujours dans sa mémoire et Julian, l’homme qui avait cru s’emparer de lui, reculait. Cependant, il restait tapi dans l’ombre.