Erik N/ Le Danseur. Erik , bien formé par Oleg et Irina, tente sa chance...
Il avait seize ans et il était prêt. Irina lui fit présenter des concours en Suède et en Norvège ainsi qu'au Danemark. Il souhaitait vraiment tenter sa chance ailleurs mais ce fut le Ballet Royal danois qui le recruta. Irina lui avait dit de présenter le solo du ballet Études d'Harald Lander, la variation d'Albrecht du deuxième acte de Giselle, celle de Siegfried du troisième acte du Lac des cygnes. Oleg et elle le préparèrent méticuleusement ; il pensait en se présentant à tout ce qu'il ne savait pas faire, sans savoir à quel point elle avait misé sur cela. Il fut excellent aux auditions et intégra brillamment le corps de ballet. Il était encore très jeune. Il était pur. Il voulut dire à Irina et à Oleg tout ce qu'il leur devait. Ne l'avaient-ils pas guidé vers la magie de la danse ? Le danseur russe le remercia gentiment et Irina lui écrivit :
-C'est bien mais c'est tout juste un début. Je sais que vous êtes heureux et rêvez à la magie de la Danse, Erik ! Soyez prudent. La magie est accidentelle ! Pour que cet accident merveilleux arrive, il vous faudra travailler plus dur que tous les autres. Et s'il arrive, vous pourrez être sûr que c'est la seule chose de votre vie qui ne se reproduira pas. Vous comprenez ? Vous courrez après une beauté qui s'est évanouie. On peut parler d'ironie du sort et c'est pour certains, une condition malheureuse. Pour d'autres, il s'agit enfin de l'extase. Peut-être, dans ce cas, devrez-vous oublier tout ce que je vous ai dit et ne vous rappeler que ceci : la vraie beauté peut tout à coup être là mais ce sera très fugace. Donc dansez avec vigilance…
Il crut comprendre ce qu'elle voulait dire. Elle faisait de lui un traqueur de beauté et cela lui plut. On lui donna le rôle d'Adonis dans le ballet d’Harald Lander, Thorvaldsen. C'était un choix classique mais qui convenait bien à sa formation et il y excella. D'autres rôles vinrent. Il ne lui fallut pas deux ans pour devenir membre permanent de la compagnie danoise. Irina l'encouragea à poursuivre dans un message à la fois plein de louanges et de discrétion.
-Eh bien, Erik, seconde étape ! Félicitations. Ce n'était pas si simple. Pensez qu'il y en a beaucoup d'autres mais soyez heureux de cette distinction. Travaillez dur et soyez plein d'âme ! Ne soyez pas triste « longtemps et cherchez la joie dans la danse. Elle y est !
De nouveau, il fut touché et se jura d’écouter toujours cette femme dure qui l'avait guidé. Il fit de son mieux. Il était déjà celui dont parlait dans un magazine de danse connu au Danemark la journaliste Inger Manström : « Erik Anderson est un magnifique jeune danseur. Il est précis dans chaque pas et sa technique est pleine de virtuosité. Ses attitudes sont nobles, ses gestes élégants. Sa ligne est extraordinaire. Il est peu de danseurs qui suscitent une telle admiration en exécutant une série d’entrechats Erik Anderson est un danseur complet ! Il est un poème et un cri ! La scène danoise peut s'enorgueillir de lui ! »
Des textes comme celui-ci le ravissaient. Il était jeune, beau, à la fois charismatique et un peu lointain, il attirait les regards et intéressait déjà les spécialistes. Il avait très à cœur d’honorer une maison fondée en 1748, ce qui faisait d'elle une des compagnies de danse les plus anciennes d'Europe. Son véritable fondateur était Vincenzo Galleotti qui avait dirigé la troupe de 1775 à 1816. Mais évidemment, c'était Antoine Bournonville qui avait régné en maître sur les lieux, de 1816 à 1823 et son fils ensuite de 1830 à 1877. Bournonville passionnait Erik. Il savait que bon nombre de ses chorégraphies avaient été perdues mais tant qu'il fût membre du corps de ballet, il eut à cœur d’interpréter La Sylphide, Napoli et La Kermesse à Bruges. Il aimait l'idée que Bournonville défendait une conception de l'existence marquée par la foi en un monde chargé de sens et plutôt lumineux. Michel Fokine et Georges Balanchine avaient aussi dirigé le corps de ballet. Il ne pouvait ignorer Fokine puisque lié à l'histoire des ballets russes, il le renvoyait à Irina. Quant à Balanchine, il regrettait que sa carrière au Danemark n'ait duré qu'un an ! A l'époque où il fut engagé, c'était Flemming Flindt qui était directeur de la danse mais jamais Erik, qui pouvait être buté, ne réussit à s'entendre avec lui. Pour lui, c'était Harald Lander qui avait tout changé en mêlant répertoire moderne et fidélité à la tradition de Bournonville. Il avait centré, il est vrai, son répertoire autour de la danseuse étoile Margot Lander et celle-ci était étincelante. Irina n'avait eu de cesse qu'Erik connût bien le monde de la danse et il savait par elle que Lander avait, entre 1932 et 1951, rendu au Ballet Royal danois ses lettres de noblesse. Des chorégraphes réputés avaient travaillé à Copenhague dont Børge Ralov qui avait créé le premier ballet danois moderne intitulé La Veuve au miroir en 1934 mais on pouvait aussi citer Birgit Cullberg, Roland Petit et Frederick Ashton. Ashston avait, à l'intention du Ballet royal, créé la première version chorégraphique occidentale du Roméo et Juliette de Prokofiev, en 1955. Et puis, Harald Lander avait formé une solide génération de jeunes danseurs dont plusieurs étaient devenus célèbres à l'étranger : Toni Lander Marks, Kirsten Simone, Henning Kronstam et d'autres. La plupart d'entre eux avaient terminé leur carrière mais leur renommée dans le monde de la danse avait attiré l'attention sur le Ballet danois.
Si Erik n'aimait pas la personnalité de Flemming Flindt, il devait lui reconnaître une qualité : celle d'avoir ajouté la danse contemporaine au répertoire du Ballet royal. Il avait chorégraphié La Leçon, d'après la pièce d'Eugène Ionesco et crée l'année où Erik arrivait Auréole, le ballet de Paul Taylor. De plus en 1972, Il lui fut redevable de sa distribution dans Le Triomphe de la mort, ballet dans lequel les danseurs dansèrent pieds nus.