Erik N / Le Danseur. Partie 1. Erik et Julian se découvrent.
Mieux valait ne pas insister et Julian eut l’intelligence de le faire. Erik le questionnant beaucoup sur son travail, il fut prolixe.
-Quand je suis arrivé à Londres, j’ai constaté que ces anglais risquaient de ne pas me prendre au sérieux. Je n'avais pas les laisser faire, hein, Erik ! Je sais ce qu'ils pensent de nous, ces britanniques ! Toi, mon cher, tu es danois et les Anglais ne pensent pas grand-chose des Danois, c'est bien connu ! Bon, moi, j'ai fait le Boston Institute of Art. Regarde dans les guides : ça existe ! C'est une belle école snob qui existe depuis longtemps et on en apprend vraiment beaucoup de choses. Je suis restée trois dans cette école. Le prix qu'ils ont dû payer, mes parents ! Mon cher, je ne sais même pas si un danseur étoile pourrait y inscrire son fils, c'est dire ! Et après, j'ai travaillé avec Clive Mitchell, une sommité-américaine- qui m'a énormément appris sur la décoration d'un drame, d'une comédie et d'un opéra !
-Je ne connais malheureusement...
-Ni Boston, ni mon école ni ce décorateur ! Oh je sais, le Danemark est loin de tout !
Il était impossible de ne pas rire avec Julian mais son talent forçait l'admiration. Erik vit ses croquis et ses maquettes pour divers théâtres de Londres et pour l'Opéra. Il admira les espaces qu'il avait su créer pour Falstaff, La Traviata et L’Or du Rhin. Il fut conquis par ce qu'il avait imaginé pour Don Giovanni et pour les Noces de Figaro. Et les idées qu'il avait eues pour Billy Budd et Le Tour d’écrou de Benjamin Britten le frappèrent. Le talent de cet homme était singulier. Plusieurs fois, Erik demanda à voir ses projets ; il alla au spectacle aussi. Julian présentait sans difficulté son travail mais il n'aimait pas entrer dans les détails et Erik qui avait le sens de la pudeur n'insista pas ; de toute façon, si le jeune américain lui dérobait une facette, il lui en présentait une autre et celle-là était scintillante ! Il connaissait beaucoup de monde à Londres et il ne fut pas difficile à Erik de devenir très sociable. La raison en était simple : le logement qu'il partageait avec Julian ne désemplissait pas. Entre les actrices et acteurs, les danseurs, les metteurs en scène, les couturiers, on ne savait où donner de la tête. Et c'était sans compter sur quelques personnalités politiques, bon nombre de chanteurs et chanteuses, d'hôteliers et de restaurateurs et une escouade de jolies filles et de beaux garçons. On dînait tard, on buvait plus que de mesure et on chantait ou jouait du piano Et on faisait bien d'autres choses. Erik s'était amusé à Copenhague et Sonia l'avait fait beaucoup sortir mais ce qu'il voyait chez Julian dépassait de beaucoup ce qu'il avait connu. Voilà un homme qui savait inviter intellectuels et artistes et les inciter à revenir le voir !
Julian avait néanmoins une autre facette. Il organisait d’autres soirées où les couples se faisaient et se défaisaient à vive allure ; les nuits étaient pleines de couleurs étranges : celles des paradis artificiels. Erik voyait qu'on buvait et qu'on fumait et que des produits circulaient. Il n'était pas naïf. Il essaya un peu. Il fut rétif. Julian, il le comprit, l'était aussi. Ils avaient leurs carrières. Leur jeunesse, aussi. Au fond, ce qui valait la peine, c'était de croiser tant de monde, de pouvoir parler de tout et de rien et de rire facilement avant de consommer. Julian le faisait, pas Erik. Cette attitude, loin d’entraînait le dénigrement, suscitait plutôt la compétition. Quoi, ce beau danseur était si attirant ! Qui le ferait céder ? En quelques mois, il est vrai, Erik changea beaucoup. Il devint d'une sociabilité impressionnante ne manqua aucune des soirées de son ami. Il y fit beaucoup de connaissances et il louvoya avec facilité entre amour et amitié. Sa beauté, sa jeunesse et son aura de danseur l'aidaient à séduire facilement ceux ou celles qui venaient là. Il était avenant, charmant et Julian comprit rapidement qu'il donnait le change. Comment savoir si cet être brillant et beau qui semblait prendre tant de soins de vous voulait votre amitié ou votre amour ? En réalité, il ne voulait ni l'un ni l'autre. Il attirait et repoussait joliment. Tant les jeunes filles que les hommes jeunes ! Avec quelqu'un d'autre qu'Erik, on aurait pris la mouche et on ne serait plus revenus mais il se montrait habile. Ceux-là même qu'il avait désappointés réapparaissaient vite. Ils finissaient par être complices. A Julian qui le connaissait bien, il ne pouvait mentir. Personne d’autre que lui ne voyait l'amoureux passionné et déçu qu'il avait pu être. Il voulait être paradoxal et il l'était : on l'adorait pour cela. Il était tellement charmant, cultivé et raffiné que l'emmener au théâtre, au concert ou à des conférences était à coup sûr une démarche positive ! Beaucoup tentaient l'expérience et étaient déçus. On ne pouvait le séduire…
Julian finit par être direct.
-Tu n’aimes pas faire l’amour ?
-Je ne veux pas en ce moment.
-Ah ça, on s’en rend compte. Tu as le choix pourtant : hommes, femmes…
-J’ai eu des petites amies ici au début mais ça ne m’intéresse pas.
-Oui, ces filles sans intérêt ! Mais je n’invite que des gens intéressants, Erik, tu le sais…
-Je sais.
-Ceci dit, tu n’en fais rien ! Tu es un jeune homme détaché, rêveur, avec quelque chose qui captive. Ils te courent après, ils t'adorent tous ! Et tu réussis à les garder calmes. Tu es affectueux et détaché, c'est extraordinaire ! A chaque fois, je pense que quelqu'un va te coincer en affichant son désespoir amoureux mais tu restes naturel, amical ! Je ne sais pas combien de temps tu vas les tenir sous ton charme comme ça sans qu'ils ne s'énervent trop mais le fait est que tu es doué !
-Je cherche des amitiés.
-Non. Je crois que tu ne cherches personne. Ainsi, on ne t’atteint pas.
-C’est vrai, je suis très bien seul.
-Oui, on le dirait bien. Tu restes le jeune héros de la Sylphide ! Dans le monde, tu es « ici » mais nous tiens en respect. Quand tu danses, tu es « là » donc, tu échappes encore à tout le monde. Ce domaine de l'Idéal, nous ne l'atteignons pas. Cependant tu nous fascines « Ici et là » ...
-Je ne sais pas ce que tu veux dire.
-Mais si !