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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
3 juin 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 1. Copenhague. Erik et sa mère.

 

Mais sa communication était meilleure avec sa mère. Il parlait en français avec elle comme quand il était petit et elle s'étonnait toujours qu'il eut si bien retenu les bases de la grammaire. Il formait bien ses phrases et avait un vocabulaire étendu. C'était sa prononciation qui la surprenait. Il avait un léger accent danois. Mais après tout, son père l'était et les traits de leurs visages étaient scandinaves.

Une après-midi, il se retrouva seul avec elle. Elle avait fait un Paris-Brest et du thé. Elle se confia :

-Quand tu as commencé les cours de danse et qu'on m'a fait comprendre que tu étais doué, j'ai cherché dans tous les sens. J'ai fait faire ton thème astral et je l'ai lu et relu.

-Tu y as trouvé mon destin ?

-Ne ris pas ! Tu sais, j'y ai vu tes lignes de personnalité. Je t'assure, ça correspondait ; la ténacité, le côté insulaire, le charme. Toutes ces amitiés que tu crées, tous ces projets que tu as. Ton sens artistique...

-C'est rassurant, ce genre de lecture !

-Tu es moqueur mais ça l’a été. On pariait tous sur Kirsten, si intelligente et travailleuse. Elle est professeur d’université. Et il y avait Else aussi. Elle était belle mais que même enfant, elle faisait des photos de mode. Marianne et toi, on se demandait…

-Maman, il y a eu Skägen. Kirsten et moi avons eu une sorte de révélation. La lumière était surnaturelle et il y avait ce sentiment d'être au bout du monde. C'était beau, poignant. Ensuite, il y a eu une fille. La sœur d'un camarade de classe. Elle faisait de la danse classique. Une fois, je suis allé chez eux : elle m'a montré sa tenue, ses chaussons et des photos. Ce n'était rien que de petits spectacles d'écoles de danse et les photos étaient très anecdotiques mais il y a eu un déclic. Et puis, une fois, à la télévision, j'étais supposé dormir et vous regardiez la télévision ; on parlait d'un danseur russe devenu fou. On le voyait en photo. Il posait dans différents costumes. Il se dégageait de lui une énergie extraordinaire, une frénésie excessive. On devinait que sa beauté n'était pas conventionnelle, qu'il n'était pas parfaitement beau mais que la danse lui donnait une grâce, une harmonie physique, un rayonnement qu'il n'aurait jamais atteint sinon.

 L'expression de son visage, tout à l'heure moqueuse, était maintenant exaltée. Ses yeux semblaient d'un bleu plus sombre et sa bouche s'ouvrait sur un demi-sourire. Dans la rêverie, il était imposant.

-Tu dis que Kirsten et toi aviez eu un rêve de beauté. Mais toi seul pratique un art aussi élevé !

-Mes sœurs ont fait d’autres choix. Else a tout de suite gagné de l’argent : elle avait un press-book convainquant ! Quand elle était adolescente, elle a posé pour de très belles photos ; on l’a vue sur Vogue. Marianne fait du théâtre.

Claire, qui aurait dû être ravie, devint triste soudain.

-Else et toi ! Tous deux si beaux et si...

-Si ?

-Mais si doués, si...

Il se mit à rire de nouveau puis s'arrêta. Claire avait les larmes aux yeux.

Tout était mis sur mon frère et il est tombé si malade ! Je ne voulais pas d'une profession intellectuelle ! Ils étaient tous si « intellectuels » dans cette famille. Même la maladie d'un enfant qui devenait complètement dépendant devenait prétexte à des raisonnements, des sentences ! Je ne voulais pas être comme eux. Je suis partie. Je n'ai pas grand-chose. J'ai...

-Maman !

-Mon frère est mort. Ils étaient mécontents ! Ils semblaient m'en vouloir !

Elle pleurait. Il se leva, contourna la table et la prit dans ses bras.

-Mais qu'est-ce que tu racontes ! Je les ai vus ces grands-parents ; si bourgeois, si français, si aigris ! Ce n'est pas ta faute. Tu as bien fait de partir. Et tu fais un travail intéressant, tu gagnes bien ta vie ! Tu côtoies des comédiens charmants, tu sais plein de choses sur eux !

-Les produits de beauté...C'est dérisoire.

Il prit son visage entre ses mains et dit :

 Maman, il n'y a rien de dérisoire là-dedans !

-Marianne veut être comédienne. Elle n’a pas ta force et ton aura !

Ses yeux bleus reprirent une teinte plus claire :

-C’est le théâtre, pas la danse ! Maman, qu'est-ce qui t'arrive !

Il resta silencieux un instant puis dit avec fermeté :

-Tu t’égares. Maintenant, nous sommes gais et il n’y a plus de larmes !

-Tout de même, ce thème astral disait que ce serait difficile, que tu serais toujours sur la brèche…

-Je suis ambitieux, c’est logique.

Ils reprirent du café et en effet, elle redevint rieuse. La sentant apaisée, il se leva pour enfiler son manteau de cuir. Elle était sur le point de débarrasser la table quand elle s'arrêta pour le contempler. De nouveau, elle était saisie par sa beauté. Dieu sait quels ravages il devait faire ! Elle se demanda combien de personnes il avait déjà pu séduire et elle se demanda aussi quelle conscience il avait de lui-même.

A cette question, Erik avait su répondre dans certains cas. Quand il avait senti la victoire facile, il s'était amusé un peu mais il était vite redevenu humble quand l'amour ou la passion étaient nés. Il avait appris qu’il s'agissait là de terres étrangères souvent incontrôlables et cruelle et il avait craint de déclencher chez autrui des sentiments violents ; mais sa liaison récente avec Jane Hopkins l’avait rassuré. Son propre désir était légitime si on lui répondait ainsi ! Depuis peu, toutefois, Julian Barney occupait ses pensées…

-Il est tellement spirituel et il est assez beau aussi.

Erik se surprenait. Barney ?

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