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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
15 juin 2024

Erik N/ Le danseur. Partie 1. Danser à Copenhague et rencontrer Sonia.

 

Et puis, il eut vingt ans et une liaison avec une ballerine : Sonia Areva. Elle avait six ans de plus que lui et venait de Bulgarie. Il était programmé dans Giselle avec elle et ils répétaient ensemble. C'est curieux, cette danseuse était déjà là mais il n'avait pas fait attention à elle. Mais, du fait des répétitions, ils devaient se voir beaucoup. Dans le ballet, Giselle est une paysanne qui apprend que celui qui prétend l'aimer est en fait Albrecht, prince de Silésie. Il s'est fait passer pour un paysan. La jeune femme préfère se donner la mort plutôt que de survivre à son déshonneur. Si le danseur incarne un prince travesti, elle n'est que ce qu'elle est. Mais la danse sublime. Elle se montrait magnifique. Ils répétaient ensemble régulièrement et il était évident qu'elle lui faisait des avances. Il le sentait à ses regards mais aussi à la façon dont elle travaillait avec lui. Leurs corps changeaient. La ballerine qui figurait une personne blessée, humiliée se montrait invitante et c'est lui qui s'inclinait... Il résista un temps mais Sonia, qui avait de l'expérience, n'était pas femme à laisser échapper un danseur aussi beau et singulier qu’Erik. Elle fit donc ce qu'il fallait et ils eurent une liaison. Erik ne savait pas ce qu'était l'amour d’une femme et il ne voyait pas Sonia comme une prédatrice. Pour lui, c'était une femme entreprenante et cela tombait bien car il était réservé ! Il la trouvait belle et elle l'était avec ses yeux verts à l'éclat unique, son corps mince et fuselé et ses boucles châtain clair. Elle s'habillait joliment, aimait les bars et les boites de nuit, les repas improvisés à deux heures du matin, les cigarettes et les discussions à bâtons rompues. Elle trouvait normal de parcourir le Danemark pour aller à des fêtes et elle traînait Erik dans les boutiques de mode. On était en 1980 et toute une façon de vivre, de s'habiller et de manger arrivait des États-Unis, ainsi qu'une façon d'être sexuelle. Erik, qui n'avait jamais vu quelqu'un comme elle, tomba fou amoureux. Sortant de sa réserve, il parla ou écrivit aux siens. Au téléphone, Irina, fut froide. Svend et Claire auxquels il avait présenté la danseuse, furent polis mais sur leurs gardes. Kirsten, devenue professeur de français, montra beaucoup de froideur. Devant Sonia, ils furent tous réticents mais Erik ne voulut pas s'en soucier. Il la voyait comme un être exceptionnel. C'était une bonne danseuse et une belle femme. Intelligente, curieuse de tout, elle était gaie et sensuelle. Elle faisait l'amour très librement et ne semblait pas avoir beaucoup de tabous. Elle lui plaisait tellement qu’il voulait l’épouser, pensant qu’elle serait l'autre versant de son couple puisqu'il était, lui, plus introverti et silencieux. En outre, ils étaient tous deux danseurs et cela lui paraissait extraordinaire. Il est quasiment impossible de transmettre à un profane ce qu'une discipline comme la danse classique peut apporter mais si l'on s'éprend de quelqu'un qui est dans le sérail, alors, tout change !  Erik était amoureux et enthousiaste. Sans doute manifestait-il deux attitudes antinomiques : il attendait d'une relation de couple qu'elle lui apporte un soutien moral et affectif et, en même temps, il rêvait d’un idéal de fusion et d'harmonie. Avec Sonia, il se sentait apte à tout partager, à mettre en commun ses valeurs, ses modèles. Il voulait veiller sur elle et était sûre qu'elle prendrait soin de lui. Pourtant, elle avait des désirs bien spécifiques et des goûts particuliers qu'elle n'entendait pas modifier. Elle était très différente de lui ; certainement exubérante, sensuelle et amusante mais aussi calculatrice et terre à terre. Il pensa que ces différences feraient leur enrichissement mutuel mais à terme cependant, elles le firent souffrir. Ils avaient été acclamés dans Giselle et ils le furent dans d'autres ballets où on les programma. Dans les pas de deux, ils étaient parfaits. Beaux l'un et l'autre, ils rayonnaient. Cependant, il n'était pas stupide et comprit rapidement que c'était lui qu'on félicitait le plus, le trouvant étonnamment doué. Sonia ne pouvait que mal le prendre et lui, qui ne voulait pas la perdre, s'en voulut de lui être préféré. On ne parlait pas tant d'elle que cela et quand on le faisait, ce n'était pas aimablement. Il insista cependant et pour ne pas heurter cette femme qu'il aimait, il fit mine d'adhérer à priori à son mode de penser et se retira d'un nouveau projet où ils devaient danser ensemble. Toutefois, son idéal de fusion se heurta à une grande désillusion. Ils se voyaient le plus souvent possible, répétaient ensemble, sortaient ensemble et faisaient toujours beaucoup l'amour mais elle le déconcertait. Elle faisait peu de cas de sa délicatesse et cherchait à prendre barre sur lui. Elle était autoritaire, lui imposait désormais ses choix vestimentaires, trouvait sa famille ennuyeuse, n'était pas d'accord sur certaines soirées à passer entre amis ou des spectacles à voir. Pour lui qui avait souhaité former avec elle un couple équilibré, le vent tournait ! Voilà que pour lui, l'amour n'était plus dissociable de la passion. Ses sentiments étaient immédiats, impérieux, intenses, et il ne pouvait échapper à un désir de fusion avec sa partenaire. Plus elle devenait cassante, plus il cherchait à tout connaître d'elle, arguant du fait qu'il ne lui fallait rien ignorer d’elle. Émotions, sentiments, et sexualité, tout devait être vécu à la limite de la possessivité absolue et sans retenue. Sonia avait été mariée toute jeune en Bulgarie mais cette union était défaite. Elle avait laissé là-bas une petite fille à qui elle téléphonait souvent mais qu’elle ne semblait pas soucieuse de voir. C’était curieux mais il lui trouvait des excuses. Il excusait aussi qu’elle ait eu une liaison avec une notabilité danoise qui possédait une bonne part de l'immobilier de la ville puisqu’elle était brouillée avec lui. La vérité était qu'elle ne l'aimait pas au point de tout lui abandonner. Fasciné par sa beauté, il n’était pas à un âge de la vie où on sait que le magnétisme sexuel entre deux êtres est souvent affaire de moments. Sonia l’enchantait et il adorait qu’elle fût si captatrice. Il fut cependant forcé d’entendre les rumeurs. Sa carrière déclinait et elle cherchait à fuir ce corps de ballet qui l’avait brièvement engagée. Elle séduisait beaucoup les hommes, on lui prêtait des aventures et le promoteur n’avait pas disparu. Au contraire, il attendait dans l’ombre. Erik crut devenir fou : voilà que revenaient les soupçons et la jalousie ! Voilà qu’elle se moquait de lui ! Elle rit quand il lui dit qu’ils danseraient encore ensemble et il en fut blessé. En montrant qu’elle rejetait la danse qui était au centre de sa vie, elle cherchait à toute force à l’humilier.  Il était un danseur magnifique, cela personne ne le mettait en cause, mais elle en avait assez. Pour la première fois depuis de nombreux mois, il lui vint à l'idée que cette relation n'était pas viable. Elle lui mentait. Il l'espionnait. Son désir de transparence et d'échanges confiants se volatilisait. Encore très épris d'elle, il tenta une réconciliation :

 -Nous avons une passe difficile mais nous la dépasserons. Il nous faut effacer nos différends !

-Tu es en train de devenir une star de la danse. Je ne veux pas me réconcilier.

-Mais qui dit ça ! Qui dit que je vais être « une star » !

-Tout le monde et tu le sais. Regarde ceux qui sont là depuis un moment. Tu as un don exceptionnel, ça crève les yeux.

-Et quand cela serait ? Quel est le rapport avec l'amour que j'ai pour toi et que tu as pour moi ?

-L'amour que j'ai pour toi ! Tu as vingt ans, Erik. Tu as des rêves d'enfant. Je ne t'aime pas tant que cela.

-Tu ne sais pas ce que tu dis !

-Je sais ce que je dis. De toute façon, j'ai démissionné et je pars à Stockholm.

-Danser ?

Elle eut un rire moqueur :

- A ton avis ?

- Tu ne peux pas demander Stockholm.

- Ah non ?

- Tu es l'amour de ma vie. Nous allons bien ensemble et...

- Et rien. Laisse-moi.

Elle fut absente de chez elle plusieurs jours de suite et il ne la trouva dans aucun lieu où ils aimaient aller. Elle ne vint pas aux entraînements et on lui dit qu'elle avait prétexté un gros claquage musculaire. En réalité, elle quittait le Danemark mais ne le lui avait pas dit. Il avait un petit studio où il l'attendit vainement. Il lui fallut des mois pour comprendre. Il reprit son attitude fermée, ne parlant pas d'elle. A ceux qui voulaient aborder le sujet, il imposait le silence. Ni Irina, ni sa mère ni Kirsten dont il était proche ne purent rien. Quelques danseurs qui l'aimaient bien tentèrent aussi une approche mais il ne voulut pas leur parler.

 Sérénade de Georges Balanchine fut mis à l'affiche. Lors de la première, sa famille vint et fut impressionnée par son art. Mal à l'aise dans le cadre de ce beau théâtre, son père fut affable et se montra ému, reconnaissant que les applaudissements qui avaient suivi les nombreux rappels visaient son fils. Claire, sa mère, fut radieuse. Kirsten, venue avec son fiancé, félicita son frère avec sa retenue coutumière et les deux jeunes sœurs avec qui il s’était montré réservé, se jetèrent à son cou. Irina avait le regard brillant et Hannah fut bavarde et flatteuse. Ce triomphe n’atténua pas totalement la tristesse d'Erik mais sa carrière était lancée. Il fut nommé étoile. Sollicité pour aller à Londres, il demanda un congé et l'obtint. Il ne put partir tout de suite bien sûr et honora ses engagements. Il se transforma. Son beau visage de jeune homme s'affina. Il avait un profil pur, des yeux bleu clair et de l'ensemble de ses traits se dégageait une harmonie qui était celle de la jeunesse et non celle de l'homme fait. Son corps, rompu à l'exercice physique, devint ferme et étrangement sensuel. Il changea sa manière de se vêtir et devint conscient de sa beauté. Elle donne un pouvoir sur les autres : il le comprit ; Celui qui avait été intégré le ballet danois et celui qui s'embarquait pour Londres étaient deux êtres à la fois semblables et différents. Mais le futur habitant de Londres était infiniment plus séduisant, désirable et admiré pour son art. Mais il était aussi secrètement meurtri et décidé à ne plus l'être.

-Quelqu’un comme lui, jamais plus ! Et puis, une liaison avec un homme, c’est si lourd, si étouffant ! Il ne comprenait rien à la danse, en plus, celui-là. Quant à elle, elle mourait de jalousie et elle était cupide. Je ne veux pas, je ne veux pas. Jamais plus, on ne croira me posséder, jamais plus on ne me refera ça ! Jamais plus !

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