Erik N / Le Danseur. Partie 1. Erik amoureux de Jane Hopkins.
Il était difficile de savoir ce qu'Erik pensait vraiment. Lors de la réception qui avait suivi la première, il avait été photographié longuement au côté de Jane Hopkins qui semblait rayonner et si Julian était sûr d'une chose c'était bien celle-là : la rencontre avec ce danseur blond aussi charmant qu'inflexible avait transformé la danseuse ; il l'avait vue charmeuse, blessée, impériale, séductrice auprès de son jeune partenaire ! Qui aurait vu en elle une danseuse sur le déclin ! Elle était extraordinaire de technique et de précision et de ce point de vue, pas en retrait sur lui. Et il y avait cette sensualité qu'elle avait souvent dû réprimer, cet élan sexuel même qu'elle lui jetait à la figure. Quelle superbe ! Julian en restait stupéfait. Bien des danseurs auraient reçu cet hommage avec une certaine distance lui semblait, lui, être très concerné. Il allait la faire tomber. Une question de jours.
-Tu as vu que le « mari » vénézuélien n'était pas très bavard. Sentirait-il la naissance d'une idylle ?
-Oh mais que veux-tu qu'il sente ! Et puis, il n'est pas vénézuélien mais colombien, tu le sais, et il s'est blessé. Il aime chasser. Je ne sais pas, un mauvais coup...
-Oh non ! Il « chasse « ! Un « mauvais coup » ... Quel sens des formules ! Tu es extraordinaire ! Bon, je n'insiste pas. La désires-tu ?
-Oui.
-Elle te désire follement.
-Julian, elle est merveilleuse. C'est ma ballerine. Celle que je voulais.
-Et tu feras... avec elle ?
-Tu m'as posé une question ? Je n'ai rien entendu.
Il changeait. Un an en Angleterre et une telle transformation ! Le beau jeune homme à la fois concentré sur son art et si festif qui les rendait tous amoureux gagnait en profondeur. Quand son contrat se termina, il leur sembla à tous que le temps avait passé vite. Il y avait ces ballets différents et surtout cet Oiseau de Feu. Il y avait cette femme qui devenait si jeune quand elle le voyait et qui l'impressionnait comme danseuse, et cet américain brillant avec qui il avait tant partagé. Ils regrettaient qu'Erik fût désireux de partir. Ils se reverraient, à coup sûr. Sentant approcher le départ de son ami, Julian multiplia les allusions à son orientation sexuelle, comme pour le sonder directement, ce qu'il n'avait jamais fait. Ces provocations auraient irrité Erik si elles étaient venues de quelqu'un d'autre que lui mais il les acceptait de son ami car sa façon de faire était drôle et brillante :
-Dis-moi, délicieux colocataire, n'as-tu pas remarqué que mes derniers invités, tous de beaux jeunes hommes et de belles jeunes femmes, t'ont regardé avec intérêt et appétit ! Ils ont tant regretté que tu ne restes pas parmi nous !
-J'étais fatigué.
-Oh, quel dommage !
-Tu connais ma vie, Erik, je ne me cache pas. Toi, si…
-Je ne cache rien.
-Si, tu ne penses pas qu’on devrait vraiment se parler ?
-Mais on se parle !
Julian gardait son calme et son ironie. Le retrait prudent de son ami le faisait sourire.
Erik, avant de partir, alla voir Jane chez elle une après-midi où elle était seule. C'est elle qui l'avait invité et il n'était assez sot pour ne pas comprendre la teneur d'une telle invitation.
-Je vais tout de même mettre fin à ma carrière mais la donne est changée car vous avez dansé L'Oiseau de feu avec moi. C'est désormais un départ heureux.
-Vous pouvez danser encore, vous êtes magnifique !
-Justement ! Ils se feraient un tel plaisir de dire que je ne le suis plus quelques mois après un triomphe...
Elle portait un chemisier de soie à col ouvert et une jupe grise, des talons sages. A peine maquillée, elle portait un parfum de luxe délicieusement fleuri. Elle ne pensait qu'aux fines rides qui étaient apparues autour de ses yeux alors qu'il ne voyait que les petites mèches sur sa nuque et la ligne de ses seins sous le tissu du corsage. Elle était en train de ranger de tasses de thé sur un plateau quand il se leva et il sentit immédiatement son trouble. Les tasses venaient de s'entrechoquer, ce qui n'aurait pas dû être. Il se trouva face à elle et elle le surprit une fois de plus. Il était si charmant qu'il lui était impossible de lui résister mais lui semblait plutôt embarrassé et en attente. Elle posa donc ses deux mains sur ses épaules et se blottit contre lui. Il était tellement jeune ! Elle entendait son cœur battre à tout rompre et en était émue. Les hommes faits ne sont plus ainsi, ils ont oublié leur jeunesse. Il l'embrassa et ce fut un moment doux et frémissant. Il crut avoir été suffisamment audacieux et s'apprêtait les lieux quand elle l'attira à elle. Elle lui prit son visage entre ses mains et murmura en le regardant :
-Oui, oh oui.
Ils firent l'amour deux fois dans une chambre d'amis tendue de blanc et avant de la pénétrer, il lui serra les seins pour en faire saillir les pointes. Elle était émouvante, très abandonnée et en même temps pudique et émue. Elle eut, pour se redresser après l'amour un beau mouvement d'oiseau et elle posa longuement sur lui ses yeux bruns. Il y avait de tendresse entre eux et l'émotion les envahit. Il la serra dans ses bras avant de quitter le lit. Mieux valait le faire, elle était prête à pleurer.
-Je vous écrirai, Jane. Je n'oublierai pas.
-Vous êtes à un âge où on oublie si vite, Erik.
-Non, ce qui s'est passé aujourd'hui, je ne pourrais l'effacer de ma mémoire. Je n'ai pas dit que je vous écrirai sans cesse mais je garderai le contact.
-J'ai un mari volage. Je pourrais m'attacher à vous.
-S'attacher au danseur avec qui vous avez resplendi sur scène, est-ce mal ?
-Non, en effet.
Il l'embrassa sur le front en partant et n'oublia pas son regard radieux et confiant. Elle le lavait de Sonia, il le comprenait.
Julian comprit tout de suite que les jeux étaient faits. Observant son danseur, il fut d’une ironie différente, piquante et non douce.
-Hopkins. Mission accomplie.
-Ça ne mérite même pas de réponse !
C'était très juste mais Julian voulait rester dans la dérision et se contenta d'une grimace. Erik insista.
-Tu ne vois pas la beauté des femmes ?
-Question trop perfide.
Cette fois, ce fut Erik qui grimaça. Plus rien ne fut dit. L'abandon de Jane Hopkins resta en lui des mois durant comme un don merveilleux et plus tard, il tint sa promesse.