Erik N / Le Danseur. Partie 1. Erik, l'enfant de Copenhague.
Il revoyait l’appartement encore et encore. Il n'était pas si grand et chacun devait faire attention et préserver l’espace de l’autre. Il n'avait pas oublié cette façon dont les membres de sa famille se trouvaient malgré tout brusquement face à face dans la cuisine, le salon ou le bureau, alors qu'ils voulaient être seuls. Il surgissait toujours quelqu'un et on se regardait avec autant de bienveillance que possible. Seules les chambres offraient un peu plus d'intimité car on finissait par y être seul, sauf le soir où on dormait deux par deux. Celle qu’il partageait avec Marianne avait des murs orangés. Kirsten et Else dormaient dans une chambre blanche. Personne n’allait sans autorisation dans la chambre des parents mais on pouvait se disputer les fauteuils et le canapé, prendre des revues sur la table basse et dîner tous ensemble autour d'une autre table cette fois grande et imposante sans que quiconque y trouve à redire. Il y avait un vaisselier français, il s'en souvenait et quelques jolis tableaux rapportés de Paris, des nature-morte et c’était tout. Il aimait cet univers. Il était très jeune et souvent content. Il aimait Copenhague, la lumière qui y était grise et dorée à certains moments, le vent, le froid et la neige qui craquait sous les pieds quand il se hasardait dehors. A l'époque du premier appartement, Kirsten avait onze ans, c'était l'aînée. Else avait neuf ans, Marianne, sept. Il était le plus jeune et le seul garçon. Et plus tard quand ils avaient trouvé un logement bien plus vaste et confortable dans le même quartier, il était devenu le seul danseur.
De lui, qui était devenu célèbre, il savait qu'on parlait. Il était « Erik Anderson né en 1960 à Copenhague, Danemark de Claire Louvier et Svend Erikson dont il était le quatrième enfant et le premier fils. Svend possédait plusieurs salons de coiffure à Copenhague. C’était à l’origine un bon coiffeur mais c’était aussi un homme qui savait gérer, faire des affaires. Il possédait plusieurs salons dans la capitale danoise. Grand, très mince, il n'était pas réellement beau mais il s'habillait avec soin, était soucieux de sa personne et passait pour séduisant. Quand Erik était encore petit, son père n'était encore qu'employé. Les femmes qu'il coiffait étaient sensibles à sa façon d'être. C'était un coiffeur très poli, capable de donner des conseils avisés et surtout très diplomate. Elles l'aimaient pour sa façon de sourire, de froncer les sourcils et pour ses yeux bleus si expressifs. Et naturellement, elles appréciaient sa singularité : cet homme ne cherchait pas à séduire. Courtois avec ses employées, ils ignoraient les regards appuyés des clientes. Celles-ci ne pouvaient croire qu'il refuse leurs avances pour les beaux yeux d'une jolie épouse française dont elles étaient jalouses. Et elles le comprenaient d’autant moins que la fidélité leur paraissait un sentiment d’un autre âge. Qui pouvait bien pouvoir être fidèle ? Mais la réalité était simple : Svend était l'homme d'une seule femme. Être le mari de Claire lui suffisait. La jeune femme, qui ne souhaitait pas vivre en France, était arrivée au Danemark douze ans auparavant. Esthéticienne, elle avait étudié l'art des massages. Les langues ne lui posaient pas de problème. Elle avait appris l'anglais facilement et maîtrisait l’allemand. Ses parents, qui n'étaient pas sans argent, l'avaient souvent envoyé, petite à Londres et à Cologne. Il lui restait le danois. Claire était à la fois terrienne et rêveuse. Elle était tombée amoureuse de Svend et c'était tout. Elle aimait les enfants qu'elle avait de lui, surtout Erik à qui elle vouait un amour particulier, si tenace et si fort que parfois elle en était gênée. Elle n'en parlait pas à son mari car elle n'osait pas. Erik était singulier. Elle l'adorait. Il le savait.