Erik N / Le Danseur. Partie 1. Londres et Jane Hopkins, la danseuse adorée.
6. Londres. Julian et Jane.
Erik vit et danse à Londres; il cohabite avec Julian. La ballerine Jane Hopkins le fascine et il tombe amoureux d'elle, refusant de se soucier de la différence d'âge entre eux.
Ce furent des temps merveilleux. Il n'avait jamais vu une danseuse s'ouvrir autant à lui et à la danse et se montrer si accomplie. Son visage qui n'était pas si beau se transformait quand le rôle la prenait et lui qui avait été si froid ou distrait, en avait conscience. Quand la première vint, il fut tendu. La troupe s'était entraînée plus que de mesure. Il y avait tant de gens connus dans la salle ! Tant de plumes prêtes à être acerbes, de langues prêtes à médire ! Ils dansèrent. Le lendemain, il lut que l'ensemble de la critique appréciait le ballet à des degrés divers mais qu'en revanche, le couple qu'il formait avec Jane Hopkins avait frappé les esprits.
« Il est remarquable, écrivait Edward Burnes pour le compte du Times, que Jane Hopkins, cette ballerine si connue des Anglais et qui se disait prêtre à prendre sa retraite se soit montrée ce soir si à son avantage. La voir danser avec Erik Anderson qui nous vient du Danemark est un spectacle extraordinaire qu'on ne laisserait pas de revoir. Rapide, sûre et toujours juste, Jane Hopkins est comme entourée de grâce. Techniquement exigeant, ce rôle lui va merveilleusement. Quelle danseuse subtile et nouvellement épanouie ! Dans le rôle du prince, son compagnon surprend. Sa prestation n'est au-delà des capacités d'aucun danseur de son niveau mais Erik Anderson est infiniment plus que cela ! Sa danse est magnifique et ce qui l'est plus encore, c'est la performance électrisante qu'ils ont livrée ! Personne n'était dupe dans le public : c'était un grand moment. »
Et pour le compte d'un magazine très snob consacré à la danse classique, un journaliste du nom de John Darlington écrivit :
« Il y a peu de temps Jane Hopkins nous confiait vouloir quitter la scène et certainement vouloir le faire par une soirée d'adieu, exercice périlleux s'il en est ! Quelle n'est pas notre surprise de la découvrir si transformée, si illuminée dans cet Oiseau de feu qu'elle n'avait jamais abordé de cette manière ! Nul besoin désormais de verser dans l'hagiographie sans nuances ; Jane Hopkins est l'héroïne du jour. Succédant à tant de ballerines qui ont, avec des talents divers, incarné le bel oiseau, elle fait preuve d'une technique sans défaut et d'un lyrisme aussi précieux que magnifique. Son oiseau, tout en bondissements et frémissements est merveilleux. Mais il nous faut parler d'Erik Anderson ! Si ses prédécesseurs ont redoré le blason du danseur classique qui était souvent réduit à un rôle de porteur et rééquilibré le couple danseur- ballerine, il semble bien que ce jeune danseur signe une prestation remarquable. Jane Hopkins se surpasse à ses côtés. Tous deux forment un couple prestigieux tout autant qu'inattendu. A l'évidence, ce jeune danseur va nous surprendre ! »
Julian, qui avait assisté à la première, commença par plaisanter quand il se retrouva seul avec Erik, après la représentation et un dîner très mondain.
-Les critiques anglais ! Quel pays ! Comment peut-on s'exprimer comme ce sieur Darlington ! On navigue entre l'oraison funèbre et le panégyrique fellinien !
Erik éclata de rire :
-Tout de même pas. Tu sais, je ne lis pas trop les critiques. Mais il n'a pas parlé comme ça. Il est snob, c'est sûr et il dit du bien de Jane !
-Ah bon ? Tu l'appelles Jane maintenant ! Et tu ne lis pas souvent les critiques ?
-Non, elles me touchent trop !
-Tu n'as que des compliments !
- Ne crois pas cela ! Personne n'aime lire qu'il aurait dû être meilleur, qu'il n'a pas si bien fait ! Tu n'es pas danseur !
-Non.
-Et bien si tu l'étais, tu les entendrais, ces critiques. Il faut beaucoup travailler pour être un danseur de bon niveau et il n'est pas permis de se relâcher. Peu d’alcool, de fêtes, de cigarettes…
-Revenons au sieur Darlington : il dit surtout du bien de toi. Et les autres critiques sont de même.
-Peut-être bien...
-Cela signifierait-il que Miss Hopkins...
-Arrête immédiatement : elle est magnifique.
-Bien sûr !