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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
26 juin 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 1. Svend, le père danois.

Svend venait du Jutland et avait grandi à Skägen. C'était la région la plus au nord de Danemark et sa ville de naissance était la plus septentrionale. Dans les années quarante, alors que son enfance se terminait, elle était déjà célèbre pour deux raisons : d'une part, la petite ville, d'assez bel aspect, avait abrité une école picturale de bon renom qui avait, d'ailleurs pris le nom « d'école de Skägen » ; de l'autre, elle offrait de beaux paysages marins. Deux mers s'y rencontraient.  Svend aimait et connaissait la mer et des années après avoir quitté la petite ville de son enfance, il se souvenait d'elle et de l'étrangeté de la lumière dans cette région. Par contre, de son propre aveu, il était resté totalement indifférent, enfant, au fait que des peintres aient jugé bon de s'installer dans son village pour y pratiquer leur art. Ce n'est qu'à l'âge adulte, alors qu'il vivait depuis longtemps à Copenhague, qu'il avait été pris de regret. Il le savait, la grande majorité des peintres de Skägen étaient danois. On trouvait parmi eux Anna et Michael Peter Ancher, Peder Severin Krøyer, Thorvald Niss, Holger Drachmann et d'autres. Il s'était alors intéressé à eux. Soren Kroyer, surtout, avait peint de merveilleux tableaux : cette jeune danoise en longue robe blanche qui, étendue sur une chaise longue, à l'ombre d'un bel arbre en fleurs, semblait plongée dans la rêverie évoquait sa « cousine française » que Renoir avait admirée. Il adorait ce tableau. Il aimait aussi ces enfants avançant dans les eaux conjointes de mer du Nord et de la Baltique, sous le regard attentif de leurs mères vêtues de robes incrustées de dentelle. Ces peintres, il avait bien fallu qu’il s’y intéresse. Erik, après avoir dansé à Copenhague, avait réussi aux Etats-Unis où il illuminait de grandes scènes tout en tournant des films. Si on a un fils qui pratique un art aussi exigeant que la danse classique, qu'il y excelle et qu'il est adulé, il est difficile de paraître inculte. A deux ou trois reprises, des journaux l'avaient interrogé et il avait menti. La vocation d’Erik venait de Skägen. Forcément, ces peintres…

Lui, il avait vécu les choses différemment.  A Skägen, il avait été enfant puis jeune homme et tout ce qu'il pouvait dire était que cette ville n'en était pas une. Elle était trop petite et ennuyeuse. Il connaissait bien le port de pêche appelé à devenir « dynamique » et qui d'ailleurs, l'était devenu. Quant aux plages, oui, il reconnaissait qu'elles étaient belles mais quand on se sent seul, cette beauté-là ne suffit pas ; elle lasse plus qu'elle n'émerveille. Tout jeune, il allait avec son père, à la pointe de Grenen où le conflit des courants de la mer du Nord et de la Baltique attire de nombreux touristes, et les dunes. Les dunes qu'il escaladait n’avaient pas été fixées pour mieux en étudier leur évolution. Elles semblaient mouvantes ceci ajoutait à leur beauté. Mais la situation dans laquelle il se trouvait était difficile. Son père était marin et n'avait pas d'argent. Sa mère faisait de la couture et devait tenir sa maison. Svend avait douze ans quand son père était mort en mer. Ils étaient quatre garçons. Il était parti à Copenhague avec un frère de sa mère tandis que ses frères allaient avec leur mère chez leurs grands-parents maternels. Au bout du compte, tous s'en étaient sortis. Mais c'était peut-être cela, ce village du bout du monde, l'après-guerre, la dureté, qui lui avaient donné de fausses images du village de sa jeunesse. Elles restèrent fixées en lui jusqu’à cette semaine de vacances où sa famille et lui vinrent en villégiature. Pour qui habitait Copenhague et aimait la vie en ville, c'était assurément un beau voyage. Kirsten, la plus grande de ses filles, avait été émerveillée par la Pointe de Grenen. C'est le point de rencontre de la mer du Nord et de la mer Baltique, là où se retrouvent les deux détroits, le Skagerrak et le Cattégat, qui permettent cette réunion entre la Norvège, le Suède et le Danemark. La plage était silencieuse, quasi-déserte. La lumière avait une qualité extraordinaire. Il ne se souvenait plus d'une telle transparence ! Et tout d'un coup saisi par la beauté des lieux que l'émotion de ses enfants lui rendait tangible, il avait enfin compris qu'être témoin de ces retrouvailles permanentes est un privilège dont il faut savoir jouir ! Le bleu, le gris, la lumière mouvante et l'air vibrant...Ému, il avait expliqué à ses quatre enfants que le spectacle à cet endroit est extraordinaire ! La pointe du Danemark s’engouffre littéralement dans la mer changeant chaque fois de forme au gré des courants et des vents. Ils avaient dû marcher une trentaine de minutes et les plus jeunes s'étaient plaints de la longueur du chemin, mais, au bout du compte, le paysage était fascinant. La terre se découvrait au milieu des eaux et semblaient être au même niveau, tandis que les horizons se confondaient. N'avaient-ils pas remarqué à quel point tout cela était extraordinaire ? D’un côté la mer du Nord, de l’autre la Baltique et au bout la rencontre des eaux fracassantes, vagues contre vagues, dans un mouvement sans fin.

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