Erik N / Le Danseur. Partie 1. Trouver des professeurs galvanisants.
3. Irina, après Hannah.
Les dons d'Erik pour la danse sont certains et il faut trouver des professeurs plus chevronnés s'il veut intégrer par concours une grande compagnie de danse. Guidée par sa mère, l'adolescent rencontre donc la finlandaise Irina Nieminem, qui travaille avec un acolyte russe. Cette femme a travaillé avec de grands interprètes et elle vénère les danseurs russes de légende.
Irina Nieminen était une femme impressionnante. Elle avait eu une carrière de danseuse assez prestigieuse, principalement en Finlande puis en Suède avant de s'installer au Danemark. Contrairement à Hannah qui avait une école de danse et se devait de la faire fructifier, Irina ne prenait que quelques élèves avec lesquels elle se montrait souvent rigoureuse et plus souvent encore impitoyable. Grande, presque osseuse tant elle était mince, elle avait des cheveux blonds toujours ramenés en arrière et des yeux d'un bleu très pâle. Si Hannah, par sa présence physique plutôt maternelle et douce avait exercé sur Erik une autorité nuancée, Irina Nieminen se montra d'emblée cassante. Elle était la fille de deux danseurs qui avaient travaillé pour les célèbres ballets russes. Elle n'avait pas bien sûr connu personnellement Diaghilev mais elle disait avoir croisé Serge Lifar. En outre son enfance avait baigné dans la musique de Stravinsky, les chorégraphies de Petrouchka et du Spectre de la Rose et du Sacre du printemps. Elle parlait avec une émotion non feinte du « Prince » des Ballets russes, de ce jeune Vaslav Nijinski, fils d'un couple de danseurs de caractère tous deux nés à Varsovie dont la carrière avait été aussi brève qu'extraordinaire. Ce qu'elle en disait révélait son goût pour la discipline : Nijinsky avaient des parents formés à la danse classique. Il tenait de son père une bonne technique et une aptitude au saut qui chez lui était devenue phénoménale et de sa mère la sensibilité et la grâce. Elle savait par ses parents que l'Ecole Impériale de ballet de Saint-Pétersbourg dispensait un enseignement rigoureux et offrait à ses pensionnaires un mode de vie spartiate et que Nijinsky y avait énormément travaillé. C'était un garçon plutôt gauche et qui était de santé délicate. Quelconque dans la vie, il était si merveilleux quand il dansait qu'il attirait l'attention. Très tôt les pédagogues Nicolas Legat et Mikhail Oboukhov avaient dû reconnaître les immenses dons de leur élève et Nijinski avait franchi rapidement les étapes successives de sa formation. Et il y avait eu les prima ballerina du Théâtre impérial qui avaient demandé ce « dieu » pour partenaire. Matilda Kchessinska – alors maîtresse du futur Nicolas II – et Tamara Karsavina avec qui Nijinski allait se lier d’une indéfectible amitié étaient les plus marquantes. Nijinsky : qui n'avait pas entendu parler de lui ? En Russie, il était connu avant Diaghilev mais le soir du 18 mai 1909, lorsque le rideau s'était levé sur la scène du théâtre du Châtelet à Paris, il était devenu célèbre par sa chorégraphie et son interprétation du Faune grâce à celui-ci. Diaghilev était un homme de génie qui occupait déjà une place prééminente dans les milieux artistiques de Saint-Pétersbourg au moment où encore inconnu le jeune danseur faisait ses classes. C'était un imprésario impétueux capable de former une troupe de ballet d’avant-garde et d'organiser une grande tournée européenne. Un grand danseur a besoin d'un guide : c'est souvent le cas. Il ne fallait pas croire tout ce qui avait pu être écrit sur ces deux êtres là. Elle était vibrante et catégorique. Elle était passionnée. Et elle fut la première à lui parler du Danseur et à lui en montrer des photos. Longtemps après, quand s'annonça le tournage de son premier film, il devait se souvenir de tout ce qu'elle avait dit et s'appuyer sur elle...