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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
15 juin 2024

Erik N / Le danseur. Rencontrer Jane Hopkins, la ballerine admirée.

 

Toutefois, le danseur changea de cheval de bataille. Il voulait rencontrer une ballerine qui efface l’image négative de la première.  Il se concentra sur sa ballerine. Il la chercha. Et elle vint. Jane Hopkins, quarante-deux ans, anglaise. Elle était bien plus âgée que lui mais quand il la vit, il fut surpris. Elle habitait Mayfair tandis qu'avec Julian, il vivait à Hampstead. N'ayant dansé qu'avec des ballerines de son âge ou un peu plus âgées que lui, il fut surpris qu'elle le sollicite. Elle était plus petite que lui, était restée mince et se maquillait peu. A qui a une vingtaine d'années, une femme de son âge et de sa condition peut paraître impressionnante. Dans le cas de Jane Hopkins, il y avait de quoi. Fille de diplomates, elle avait vécu en Chine et au Japon avant de se fiancer très tôt et de force avec un « Sir » quelconque qu'elle avait éconduit. Il n'acceptait la danse que comme une agréable et intrigante formation mais tenait à ce qu'elle abandonne tout. Elle avait trop lutté pour être une bonne danseuse classique et tint bon. Elle rompit ses fiançailles, laissa dire et poursuivit sa carrière. On la programma longtemps dans de nombreux rôles en Angleterre et ailleurs. Sa réputation resta longtemps sans tâche mais quand Erik la rencontra, elle n'était plus la même. On pouvait la prendre pour une grande bourgeoise émérite, son mari étant ambassadeur du Paraguay à Londres, mais certainement pas pour une grande danseuse. Elle l'avait été, voilà tout. Elle reçut Erik avec beaucoup de gentillesse et s'excusa de la simplicité de son invitation. Son mari et elle avaient passé quinze ans dans une somptueuse maison mais il leur était venu l'idée de déménager. Le nouveau logis était ravissant mais que de travail ! Ils s'y prenaient mal, elle surtout. Tout n'était que cartons et pièces encore condamnées. Pour Erik, elle mentait car c’était un espace splendide mais elle hésita :

-Je viens de vous voir danser et j'ai vraiment envie de faire votre connaissance mais ce lieu de vie est peu présentable. Ce sera donc une invitation impromptue !

-Cela ne me dérange aucunement !

-Oh, bien ! Aimez-vous le thé ?

 -Bien sûr !

- Vert ? Fumé ?

-Je préférerais du thé fumé.

-Bien. Alors, il y en aura !

Elle le sidéra quand il la vit. Elle se tenait très droite, portait un chemisier blanc très ouvert et une jupe droite. Elle était sans bijou mais portait de hauts talons. C'était une vraie femme de rang. Le sentant intimidé alors même qu'il était imperméable à l'effet qu'il lui faisait, elle fit les choses elle-même. Elle l'invita à s'asseoir sur un grand canapé blanc et servit dans un somptueux service qu'il crut issu de la Russie impériale, un thé des plus délicieux qu’on ne lui ait jamais servi. Tandis qu'elle lui proposait du sucre et du citron, il la regarda sans la trouver classiquement belle mais il fut séduit par son visage ovale et ses grands yeux bruns.   Elle-même était aux aguets car elle lui dit :

-Vous êtes très jeune. J'ai fait une carrière plus qu'honorable. Les grands ballets classiques que vous connaissez bien et quelques incursions dans d'autres domaines. Tout cela est fini. Je m'obstine encore sur scène !

-Vous vous obstinez ? Mais pas du tout !

Elle fut saisie.

-Mon âge.

-Dans votre cas, non.

Elle dut se faire violence pour cacher son trouble.

- Alors, je peux être sincère ?

- Oui, bien sûr.

-Voyez-vous, j'ai adoré danser le Sacre et L'Oiseau de Feu.  Et ce dernier ballet, je voudrais le danser avec vous. Soyez le prince et permettez-moi d'être l'oiseau incontrôlable...

-Stravinsky, Fokine, Karsavina...

-Ce serait une belle collaboration !

Il paraissait sincèrement subjugué. Blond, joliment vêtu comme on peut l'être à son âge, elle le trouvait délicieux. Où avait-il déniché cette chemise blanche, ce pantalon gris informe et cette veste cintrée ? Et ce feutre gris et cette écharpe rouge ? Sur lui, c'était magnifique et ce beau visage, cette blondeur, ce dandysme. Elle craignait qu'il ne vît son trouble mais lui était tout à ce ballet.

- Schauffus serait ?

- D'accord, oui. N'ayez pas d'inquiétude. Mais c'est vous ?

- Vous me demandez si je devrais être d'accord ?

- Oui !

- Mais naturellement, c'est un grand honneur !

-Un honneur ? Danser avec une ballerine qui a presque le double de votre âge ?

Il ne pouvait être sincère mais quand il se mordit les lèvres de façon enfantine avant de reformuler son acquiescement de façon ferme, elle sut qu'il l'était et en fut bouleversée. Il était redoutablement beau et c'était un bon danseur. Et c'était lui qui se sentait honoré...

Ce furent des répétitions étonnantes. Comment faisait-elle ? Il avait revu chez elle à Londres, une femme qui ne manquait de rien, portait un tailleur gris et des bijoux discrets. Or, en justaucorps, les cheveux tirés en arrière, un trait d’eye-liner noir lui agrandissant les yeux, elle n'était plus cette « dame » bien nantie mais une créature plus souple, plus rebelle et éminemment vivante. Ils devaient danser tout le ballet. Les répétitions se succédant, ils se voyaient différemment. Elle avait de petites mèches qui tombaient sur sa nuque et ce détail le touchait car elle ne pouvait le voir. Pendant les pauses, elle ne se défaisait pas de son élégance, chacun de ses gestes restant gracieux ; il aimait ses tenues de répétition, son maquillage léger, ses jambières et ses petits cache-cœurs sans savoir qu'elle était captivée par sa jeune beauté et une magie sexuelle que le rôle rendait plus saillante. Quand il hochait la tête, ses cheveux blonds bougeaient. Il se dégageait de son corps en arrêt une virilité non encore abîmée, une vraie virilité de jeune homme et elle aimait cela. Il y avait longtemps qu'elle n'avait plus ce bonheur d'être séduite par un jeune faune qui ne sait pas à quel point il peut troubler...

Julian le questionna :

- C'est bien, n'est-ce pas ?

- Oui !

- Ton rêve se concrétise ?

- Oui, elle est si professionnelle !

- Oh, tu recommences ! Bon, raconte-moi L'Oiseau de feu, tu veux ?

-Ivan Tsarévitch réussit en fait à capturer l’Oiseau de feu dans l’arbre aux pommes d’or du jardin de Kachtcheï et, en échange de sa liberté, l’Oiseau de feu donne une de ses plumes enflammées à Ivan en lui disant qu’elle lui sera utile. La porte du château de Kachtcheï s’ouvre et treize Princesses sortent, dont la Princesse de la Beauté Sublime.

 -Donc, elle est transformée quand elle danse avec toi !

-Oui, elle est merveilleuse. Oui, elle est changée.

-Continue l'histoire !

-Tu te fiches de moi ! Tu la connais par cœur.

-C'est exact mais je ne moque pas de toi. Je veux que ce soit toi qui racontes...Je t'en prie !

-Bref : elles jouent avec les pommes d’or et celle de la Princesse de la Beauté Sublime tombe dans un buisson derrière lequel s’est caché Ivan. En la récupérant, elle le voit et ils tombent amoureux. Les Princesses retournent dans le palais et Ivan, ne pouvant vivre sans la Princesse de la Beauté Sublime, tente d’entrer dans le château, ce qui déclenche le carillon magique. Il est capturé par les gardiens de Kachtcheï. Celui-ci arrive et le questionne mais Ivan lui crache au visage. Il est alors placé contre un mur de pierre et Kachtcheï débute l’incantation qui le changera en pierre. Soudainement, Ivan se souvient de la plume de l’Oiseau de feu. Il l’agite et l’oiseau apparaît, rompant le sortilège de Kachtcheï. Ivan et la Princesse sont mariés et couronnés Tsar et Tsarine.

-Tu vois, tu racontes parfaitement !

-Cette ironie...Évidemment, tu as déjà fait des décors pour ce ballet !

-Bien sûr ! Mais c'est une histoire que j'aime ! Dis-moi, Il vous fait souvent répéter tous les deux ? Si oui c'est bien. C'est ta chance, regarde-là !

-Je danse avec elle. Quelquefois, je la regarde...Enfin, je la regarde très souvent...

-C'est bien ! J'attends la suite...

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