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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
26 juin 2024

ErikN/ Le Danseur. Partie 1. Enfance et désirs. Une journée à Skägen.

 

Ça avait été une journée marquante pour tous. Pour Claire car son mari lui avait rarement montré sa région natale, pour les filles qui avaient juré mettre un pied dans la Baltique et un autre dans la mer du Nord en sentant la différence et pour Erik, toujours sensible et lyrique. A sa mère, il avait dit :

-C'est si beau, ici ! On veut à la fois mourir et rester ! Regarde, la mer est grise et parfois, elle est bleu-foncé ! La lumière s'amuse. On ne sait pas où on est.

Cette tirade avait laissé Claire muette et émerveillée. Devant son silence, Erik avait changé d'interlocuteur. A Kirsten, il avait déclaré :

-Tu sais ici, il y a de la Beauté.

Kirsten avait réagi en enfant sage, en sœur aînée :

-Bien sûr, tout le monde trouve ces paysages très beaux !

Il était resté grave.

-Je ne crois pas. Les gens ne veulent pas vivre dans la Beauté. Moi si, même si c'est dur.

Il y avait de quoi être désemparé par les propos d’Erik mais à cette époque, Kirsten en était très proche. Ce que disait son frère avait du sens. Vivre là devait être déroutant, des étés lumineux faisant vite place à des hivers violents. Très vite, il n'y avait plus cette étonnante lumière et ce tournoiement des eaux. Il y avait le froid, la pêche, la vie dure et humble qu’avait connu leur père. Pourtant, c’était splendide.

-Tu crois que tu pourrais rester toujours ici à chercher la Beauté ? Non, tu sais bien, il n’y a que des emplois fatigants et ennuyeux et tu aimes Copenhague.

Il n’avait pas paru déconcerté.

-Non, pas ici !  Mais ailleurs, là où elle est.

 A sa mère qui venait de se joindre à la conversation et disait ne pas comprendre, il avait précisé :

-Les eaux bougent, elles ont l'air de danser. Peut-être que je veux danser ? Je ne sais pas ? Des gens ont déjà dessiné, peint ces eaux-là ? Je pourrais peindre. Je ne sais pas ! Mais pas ici, pas ici ! J’aurai un travail qui permet de chercher de la Beauté, moi.

Claire, ce jour-là, jolie et lumineuse dans son corsaire beige, son pull jaune paille et son grand imper, ses cheveux blonds tombant sur ses épaules, avait paru perplexe.

-Ah oui ?

-Oui, maman !

Svend était ce jour-là, heureux. Un petit gîte, une belle excursion, des repas traditionnels et ces couleurs du Jutland qui, enfin, après tant d'années, lui paraissaient exquises suffisaient à son bonheur ! Quand tous revinrent, seuls Kirsten et Erik ne furent pas frappés d'amnésie. Ils se souvinrent. Le gris, le bleu, danser, la lumière : il avait parlé de cela. La jeune mère rieuse n'oublia pas les fulgurances de son unique petit garçon et du Jutland, il revint déterminé. Il devint plus fort...

C'était la petite enfance d'Erik. Il était le fils de Claire, la française et de Svend, le Danois. Elle ne connaissait que les villes. Il avait été élevé dans un cadre sauvage. Mais à Copenhague, ils étaient bien.

Souvent, il regardait sa mère se maquiller et il ne semblait voir qu'elle. Elle parlait de sa vie car beau comme il l'était, cet enfant qu'elle comprenait mal mais aimait tant, l’incitait à le faire :

-J'ai grandi dans le seizième arrondissement, Erik. C'est un beau quartier.

-Oui, maman. Frederisberg, c’est beau aussi !

-Oui, mais ce n’est pas Paris ! Je m'y suis longuement promenée en famille quand j’étais petite, allant de musées en exposition et d'église en hôtel particulier et puis j'ai grandi !

-Oui, maman.

Elle était en train de poser un trait d'eye-liner sur ses paupières et il ne la quittait pas des yeux :

-Jeune fille, j'ai délaissé mon père qui était universitaire et historien et ma mère qui avait fait son droit et était avocate au barreau de Paris. Leurs amis n'étaient pas très délurés. J'ai voulu vivre Paris autrement. Au caveau de la Huchette, je dansais des nuits entières et chaque jour, je prenais des cours de modern Jazz. J'étais volontaire et douée mais pour mes parents, ça ne conduisait à aucune profession. Ils auraient pu se fâcher mais ils laissaient faire, tu comprends ? Ils ne me critiquaient pas !

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