La Nuit de l'Envol. Irène. Un second mariage défait.
C'était pendant cette période qu'elle avait divorcé d'Alan Williams, ce violoniste anglais avec qui elle avait, des années durant, partagé l'affiche lors qu'elle se produisait au sein du trio « La Rose musicale ». Un divorce sans encombre. D'Alan, elle était sans enfant, lui en ayant de son côté. Au fond, c'était peut-être pour cela qu'ils étaient restés amis. Il était reparti en Angleterre tandis qu'elle partait sur la Côte d'Azur et ils se téléphonaient souvent.
-Un mariage tranquille, un divorce facile, une amitié sans faille...
C'est ainsi qu'Irène définissait leurs relations. Il n'en allait pas de même de son premier mariage qu'elle qualifiait d'erreur de jeunesse. Allons donc, elle avait vingt-quatre ans et avait commencé sa carrière de soliste. Il était allemand par son père et hongrois par sa mère et se nommait Bruno. Française de nationalité, Irène avait une famille cosmopolite et ce jeune homme lui plut car il lui ressemblait sur ce point. Grand, assez beau, élégant, il affichait un pragmatisme et une efficacité toute germanique à ses dires et, conscient du talent d'Irène, il avait voulu conduire sa carrière. Les meilleurs engagements, les meilleures salles, des critiques optimales et un compte en banque bien rempli, voilà quel était son programme.
Il aimait son intensité.
Irène aimait ainsi expliquer les dissensions qui étaient allant augmentant entre Bruno et elle : c'était un homme qui n'aimait que les sens uniques, les directions bien définies, or elle avait choisi de bifurquer. Il ne croyait pas qu'elle ait perdu ce feu intérieur qui l'avait tant portée. Fragile, elle était dévitalisée et atteinte dans son art par des énergies négatives émanant de ses rivaux. Une thérapie suffirait. Il y avait de bons spécialistes...Mais elle n'avait pas voulu, préférant jouer avec d'autres.
Au bout de quatorze ans, l'un et l'autre étaient à bout. Quoi qu’il fasse, Bruno n'avait plus de poids artistique dans la carrière d'Irène Diavelli. Il était parallèle à elle, ce qui le jetait dans une rage folle et le rendait verbalement violent. Il refusait pourtant le divorce, son argument majeur étant l'enfant. Ils avaient eu un fils, qui n’était guère alors qu'un garçonnet de dizaine d'années portant le prénom intemporel de Pierre. Toutefois, au bout du compte, il avait fini par jeter l'éponge. Pierre, alors âgé de quinze ans, avait d'abord été confié à sa mère mais à dix-huit, il devenait majeur et donc capable de choisir par lui-même ce qui était le meilleur pour lui. Lui-aussi avait des dons mais les siens étaient liés au chant. Quittant Paris, il était parti à Berlin où son père vivait désormais. Souvent, au début du moins, il avait appelé sa mère et pris le train ou l'avion pour venir la voir. Puis, il avait été diplômé et avait commencé sa carrière de baryton. C'était un jeune homme au beau physique et à la voix à la fois solide et pleine de nuances. Elle le savait, il visait des engagements sur de très grandes scènes. Confiante, elle savait qu'il les obtiendrait. Pour l'instant, Bruno, son père, lui servait d'impresario. Ce fait qui aurait pu déprimer Irène la galvanisait. Bruno n'avait pu réaliser son rêve avec elle ; avec leur fils, il le ferait. Un jour prochain, Pierre aurait un premier rôle à l'Opéra de Paris, à Covent Garden ou encore au Metropolitan de New York...Elle prendrait l'avion.