La Nuit de l'Envol. Une pianiste meurrtie et une école de danse.
Depuis longtemps déjà, Irène avait relativisé les effets négatifs de sa rupture avec son premier mari. Il s'était montré vindicatif et de mauvaise foi jusqu'au bout et lui en avait voulu des années durant, certes, mais elle avait trouvé des compensations. Elle faisait des tournées avec les groupes auxquels elle appartenait et ces voyages feutraient sa douleur. Sa sœur, restée à Paris, gardait Pierre. Et puis, quand le divorce avait été effectif, elle se déplaçait souvent, ayant la sensation que, fugacement, ce feu qui était devenu si ténu en elle, redevenait violent. Il y avait des soirs où Chopin lui appartenait. Chez elle, elle jouait les Ballades du maître polonais, la première surtout et restait ensuite en silence, immobile, partagée entre cet appel discret à la souffrance et une sensation de bonheur qui la laissait ravie.
Et son second mari était tellement gentil ! Pourtant, il était parti lui-aussi et il y avait eu ces leçons à Paris, ces listes d'attente rassurantes...Elle n'avait pas tout perdu, au contraire. La musique sous tendait toujours sa vie, non ? Il aurait pu en être ainsi des années encore mais tout d'un coup, l'idée de préparer de jeunes pianistes à des concours difficiles avait cessé de lui plaire.
Cette fois, elle voulait partir dans le sud de la France, vivre à Cannes. Elle y serait oisive en attendant une belle opportunité...Et elle l'avait trouvée ! Depuis peu, elle se rendait dans un cours de danse. L'idée d'accompagner au piano de jeunes danseurs en répétition lui était venue soudainement mais ne la quittait pas. C'était un travail simple que pouvait accomplir quelqu'un de bien moins brillant qu'elle mais pour avoir ce poste, elle avait argumenté avec une telle intensité qu'on l'avait conviée à venir deux fois par semaine accompagner les cours les plus avancés. Cela semblait lui faire tellement plaisir d’autant qu'elle ne rechignait pas à accompagner les autres ! Elle était Irène Diavelli tout de même et l'avoir dans les murs ne pouvait nuire à la réputation de l'école. Bien au contraire...
Irène ne pouvait nier que son arrivée à l'école de danse avait coïncidé avec la multiplication de ses brutaux réveils matinaux dus à des cauchemars persistants. Le monde des rêves, même si ceux-ci offraient des aperçus déroutants sur des univers intérieurs insoupçonnables était fascinant par les formes qu'il savait revêtir. Elle le savait pour avoir déjà eu des périodes agitées où elle faisait souvent des cauchemars. Elle n'avait, cette fois, aucun vrai sujet d'inquiétude, sa vie ayant pris un tour plutôt heureux. Toutefois, ces rêves déstabilisants étaient là...
-J'aurai des élèves ce matin et encore un cet après-midi et puis il y aura ce cours à l'école de danse. Cette fille longiligne, Anaïs quelque chose, je dois surveiller ses progrès car ils me galvanisent. Et puis, il y a ce garçon, ce Raphaël si prometteur...Une brune typée et rieuse, un blond aimable mais un peu distant...Mes étoiles de la danse au rythme de ma musique ! Vivement ce soir.
Irène oublia vite son rêve d'immense oiseau et à dix-sept heures, dans la salle du cours spécial de l'Académie Fontana rosa, elle s'installa au piano...