IL Y A LONGTEMPS QUE JE T'ATTENDS. Chapitre 4. Au delà de la mort : Nijinsky parle.
Tamarin a été brutalement séparé de son maître, un jeune danseur. Il l'attend au cimetière Montmartre, près de la tombe de Nijinsky. Le danseur lui parle, au dela de la mort...
Je le regardai fasciné, les oreilles dressées et l'esprit ouvert.
-"Cette statue que tu n'aimes pas, c'est une vieille marionnette dans un ballet, c'est Petrouchka. Disons que c'est une image de l'humanité, et pas la plus belle. Au début, ma tombe était toute simple. La statue est venue après. J'ai été malade très jeune ; j'avais trente ans à peine et je le suis resté. Quand j'ai senti que je tombais dans la folie, j'ai écrit un « Journal » qui aujourd'hui encore est lu. J'ai dessiné aussi. De grands cercles souvent, des yeux énormes...Comme mes écrits, mes dessins ont été analysés par des psychiatres. Le diagnostic était inquiétant...Il a fallu du temps pour qu'on considère que ce que j'écrivais et dessinais avaient un rapport avec l'art... "
Il est resté silencieux un moment puis a repris :
- "Ton maître serait-il un danseur ?"
J'ai jappé avec conviction.
-"Faisait-il des sauts merveilleux ?"
Je n'en savais trop rien mais j'ai eu le même jappement affirmatif. La voix a repris :
-"A sauter trop haut, on reste dans les étoiles...Je le sais si bien...Tu sais, il n'y est pour rien. Il lui est arrivé quelque chose de mal. C'est pour cela qu'il est loin de toi. Mais s'il le peut, il reviendra..."
Je ne sais pas s'il était sûr de ce qu'il disait car il pensait à son propre malheur. Il avait chuté de très haut et connu l'enfermement. Je ne pense pas qu'il avait été un patient difficile. Non, il se laissait faire. De toute façon, les étoiles lui étaient désormais si lointaines...
Il a repris encore.
-"Dieu aime la beauté et la bonté. Il aime la fidélité. C'est parce que tu es ainsi que tu seras récompensé."
A partir de ce moment-là, j'ai repris espoir. Je suis resté à côté de la tombe du danseur russe mais j'ai eu une nouvelle raison de le faire. De la dépouille de cet être qui avait dû être génial mais que le monde avait malmené, se dégageaient une dignité et une force spirituelle peu communes. J'étais admiratif. C'est pourquoi je restais.
L'été a été splendide. Jacquot m'a, à plusieurs reprises, extrait du cimetière pour m'emmener chez lui et de là, nous avons l'un et l'autre longuement erré dans Paris. C'était un type vraiment charmant. Il fallait juste passer outre sa laideur, ses manières rustiques et cette façon qu'il avait d'oublier ce qu'il venait de dire.
Quand l'automne s'est montré, j'ai senti que mon temps était compté. Je savais bien que je supporterais pas un hiver dans ces lieux et Dugny entrait en ligne de mire. J'ai espéré, espéré et j'ai eu raison.