La Nuit de L'Envol. Partie 3. Webster, homme public après son roman sulfureux...
Webster, écrivain encore marginal, estime avoir désenvoûté un jeune homme hantée par une femme maléfique. Sur cette expérience, il a écrit un roman...
L'éditeur se racla la gorge.
-Admettons que ce soit autobiographique...
-Oui ça l'est mais pas exactement cette forme...
-Je ne peux publier ce version, d'abord pour le sujet tel que vous le traitez ensuite pour son écriture qui est bien trop touffue et pour tout dire, maladroite.
Webster, quoique décontenancé, ne se découragea pas.
-Toutefois, ce qui est la base du livre vous plaît ? Je veux dire l'envoûtement d'un jeune artiste par une pianiste aux abois et sa guérison par une sorte d'exorcisme conduit par un homme mûr ?
-Oui, mais là, c'est une trame bien plus classique.
-Certainement. Je garde le danseur et la femme.
-Et, si je puis me permettre, que vous faites-vous de cet amant-guérisseur ?
-Sa sexualité est gênante, vous avez sans doute raison. Je vais tout réécrire.
-Vraiment ?
-Oui vraiment.
Et il le fit. Il écrivit une manière de roman gothique qui se déroulait au dix-neuvième siècle dans une grande université américaine. Le danseur était devenue un étudiant, la pianiste démente, une femme de la bonne société qui était amené à faire la connaissance de ce jeune et beau boursier et le guérisseur un gentleman solitaire qui menait une vie d'études et de contemplation dans une belle gentilhommière. Il situa l'action dans le Massachusetts et fit de solides recherches tant sur le mode de vie local à cette époque que sur les pratiques universitaires que sur les magies noires et blanches. Sobre dans sa longueur, ce roman avait un caractère flamboyant qui saurait plaire. Pour qui lirait entre les lignes, il était clair que le bel étudiant et le très stylé gentleman s'aimaient chastement mais que c'était faute de mieux. Quant à la femme mûre qui s'était mêlée de désirer un homme jeune, elle ne pouvait, pour l'époque, n'être une pécheresse, une femme à l'esprit égaré que toute morale avait quitté alors qu'elle offrait des symptômes qu'un psychanalyste aurait décryptés. Enlevé, très bien écrit, le roman plut. Toutefois, malgré les mises en garde de Richard Edward, Daniel ne mit pas au rebut son premier texte mais le remania. Refusant de gommer son caractère érotique, il le renforça au contraire. La passion entre ces deux hommes dont l'un voulait sauver l'autre, n'en paraissait que plus brutale et les raisons de la maladie du plus jeune plus obscures. Cette fois, un éditeur plus ouvert que le premier accepta son texte, escomptant que la verdeur de nombreux passages seraient contrebalancées par une analyse sociale habile de la New York d'aujourd'hui et que la possession nettement métaphorique d'un jeune homme soucieux de faire carrière par une femme puissante qui rêvait de le transformer pouvait renvoyer à des situations très concrètes. Il faut dire que le danseur était devenu un jeune acteur, la femme une productrice de télévision et l'homme mûr un scénariste.
Ainsi, en ayant produit sur le même thème un roman historique où le Gothique était une référence très claire et un autre qui était à cheval sur le polar et le roman psychologique, Daniel Webster faisait mouche. On parla de lui plus encore qu'auparavant. Malheureusement pour lui, ce qui s'opérait si facilement dans ses romans, avait échoué dans la vie. Niels lui manquait terriblement et il errait seul dans son bel appartement qu'un temps le danseur avait transformé par sa présence. Pourtant, au début de son séjour en Californie, l'appela souvent, donnant ainsi un gage de son attachement :
-Comment ça se passe ?
-Une ville incroyable ! Et la Californie !
-Tu danses ?
-Non, mais je travaille d'arrache-pied. J'ai déjà été vendeur, barman et là je suis libraire...
-Tu as ton sens commun ?
-Oui. Daniel, c'est toi qui m'as cru perdu pour la danse. C'est faux.
-Ah ?
-Oui « ah ». Je danserai de nouveau. D'ailleurs, tu pourras le constater par toi-même...