La Nuit de L'Envol. Partie 1. Concert à Cannes. Satie.
Au premier rang, les six danseurs étaient entourés de notables, sans parler des dirigeants de l'Académie. Voyant à quel point ils s'investissaient pour la danse classique, Irène ne pouvait les ranger dans la catégorie des auditeurs distraits ou de ceux que seul le snobisme motivait. Ils devaient bien être mélomanes ceux-là mêmes qui espéraient que leurs meilleurs éléments danseraient sinon sur du Chopin (choix hautement improbable), du moins sur du Stravinski...
Quant aux adjoints du maire qui, par obligation, étaient venus, elle doutait qu'ils connaissent bien Satie mais comme celui-ci, après avoir été décrié, était désormais très joué, ils ne pourraient qu'admirer.
Mais seuls importaient les six danseurs et Irène savait pouvoir les éblouir ! Les morceaux s’égrenaient, espacés les uns les autres par quelques secondes où le temps s'arrêtait. On s'entre regardait, se souriait, mettait la tête entre ses mains. Et puis, de nouveau, elle jouait. Eux, ils étaient encore très jeunes. Outre ce qu'ils apprenaient au lycée, ils étaient pris en charge à l'Académie sur bien des plans. Aux vacances scolaires, ils participaient à des stages spéciaux. La musique, la littérature, l'histoire de la danse, le travail des grands chorégraphes, on ne les épargnait pas. Il était impossible que la mélancolie savamment retenue de ces pièces de Satie, leur caractère ironique et défait ne les atteignit pas car la danse y était présente. Ils auraient pu improviser sur de tels morceaux mais aussi danser sur des chorégraphies déjà agencées. Et s'ils l'avaient fait, elle était sûre que, de là où la mort l'avait conduit, le musicien secret et retenu qu'il avait été, qu'on avait tant raillé, aurait apprécié d'être témoin de tant de beauté...
Les Gymnopédies ne suffisant pas, Irène avait adroitement ajouté les Gnossiennes et d'autres pièces moins connues. Sachant qu'elle avait répondu avec beaucoup de spontanéité à une demande qu'on s'attendait à voir rejetée et avait travaillé d'arrache-pied sans beaucoup discuter son contrat, les dirigeants de l'Académie Fontana rosa n'avaient pas discuté la programmation de son récital.
Avec les pauses, le concert durait une heure trente. Il serait suivi d'une réception. Irène joua sa dernière pièce. Elle s'intitulait Les Fils des Étoiles et durait onze minutes. Il s'agissait en fait de trois préludes. Satie le facétieux les avait appelés « wagnérie kaldéenne du Sar Péladan ». Mystérieux et poétiques, il lui avait paru adéquats pour être interprétés en clôture de concert, d'autant qu'ils n'étaient pas si connus...