Erik N / Le Danseur. Partie 4. Succès du ballet sur Dorian Gray.
Mills parti, le ballet fut présenté et, cette fois, le succès fut au rendez-vous. Le thème, déjà sombre en lui-même, l’était plus encore dans ce ballet. Les décors créés par Julian suggéraient un univers glacial, plein de miroirs, d’ombres et de lumières tandis que les musiques choisies renforçaient le caractère démoniaque de Dorian Gray, l’homme à la beauté qui résiste au temps. Le danseur, qui avait le rôle-titre, avait l’ambiguïté de son personnage. Il avait la jeunesse, la beauté, une formation excellente et Erik avait tiré de lui le meilleur.
-Magnifique. Tu as la critique pour toi. Bravo, Erik.
-Merci, Julian.
-Tu vois, j’avais raison : cette troupe, ta présence. C’est notre amour qui a fait cela. Tu le sais, Erik, n’est-ce pas !
Erik aurait dû être souriant. Ce que disait son compagnon était plutôt vrai mais il y avait cette petite fille…Et puis, le passage des années, qui ne l’avait jamais inquiet, le faisait désormais. Et sa tristesse l’avait repris. Mais les propos de Mills lui trottaient dans la tête. Ne pas s’appesantir, changer soudain de vie et s’ouvrir ! C’était possible. Le Journal de Nijinsky lui revint en mémoire. « Tu veux me perdre, je veux te sauver. Je t'aime. Tu ne m'aimes pas. Je te veux du bien. Tu me veux du mal. Je connais tes astuces. Je fais semblant d'être nerveux. Je fais semblant d'être bête. Je ne suis pas un gamin. Je suis Dieu ; je suis Dieu en toi. Tu es une bête et je suis amour. » Était-ce le résumé de ce qu’il vivait avec Julian ? Les relations qu’il avait avec lui restaient conflictuelles. C’était pesant parfois mais en même temps, l’un et l’autre étaient portés. Toute la dynamique de cette compagnie reposait sur le duo qu’ils formaient et le succès en découlait. Même Peter Martins qui, au début, n’avait pas apprécié qu’Erik délaisse le New York City Ballet pour travailler dans un nouvel espace, le reconnaissait. Jour de Lumière s’en tirait fort bien.
Mais c’en était assez : donner indéfiniment n’était pas possible.
Julian ne put refuser à Erik de se rendre au Danemark. Il affichait une tristesse pathétique et à plusieurs reprises, il dut le garder dans ses bras et le consoler de ses larmes.
-Mais tu es magnifique !
-Il y a eu cet échec.
-Toutes les compagnies de danse en ont ! Ce n’est rien. Je le reprogrammerai encore.
Mais Erik sanglotait, défait.
-Je veux voir ma fille en Californie !
Julian tressaillit. Il ne pouvait empêcher le danseur de partir mais ce que dirait cette femme ?
Le danseur partit brièvement. Chloe le revit seule dans un bar de San Francisco tout d’abord. Il fut étonné de ce lieu de rendez-vous.
-C’est une prise de contact. Nous ne sommes pas loin de chez moi. Je voulais juste savoir si tu te sens près à la voir. Si c’est le cas, je t’emmène.
Blonde, mince, Chloe était toujours aussi jolie. Elle semblait sereine. Son mariage l’avait apaisée.
-Comment vas-tu ?
-Mais bien, Erik. Je ne vais te cacher que ce n’était pas là cas quand je t’ai laissé à Berlin. Il n’y avait plus rien à faire ; tu étais sous contrôle. Je ne savais plus ce que je faisais là. Je suis retournée dans ma famille. Quand Eva est née, j’étais déjà ici avec ma sœur. J’avais voulu cette enfant et je m’en suis tout de suite occupée ; seulement te le dire ou t’écrire, ça n’avait pas de sens. Tu étais passé à autre chose. J’ai su que tu étais de retour à New York et qu’une compagnie de danse naissait. Je savais que tu y serais magnifique mais curieusement, ça a vite cessé de me faire souffrir. Quand tu as un enfant tout jeune, tu n’as pas les mêmes priorités : moi, je devais aller bien et je me suis arrangée pour que ce soit le cas. Au bout d’un an, j’ai pu retravailler à temps partiel. Ma mère et ma sœur m’aidait. Et puis, Jim est arrivé. Petit à petit, on s’est trouvés. Il est peintre lui-aussi. Il dirige une école de dessin et expose. On a été attiré l’un par l’autre.
-Alors, tu as réussi à surmonter tout ce que nous t’avons fait vivre…