Erik N / Le Danseur. Partie 4. L'énigme de Gaspard Hauser.
Fort de ce succès, Erik alla proposer à celui qui était désormais le directeur du théâtre son troisième opus.
-Gaspard Hauser !
Julian était suffoqué : ce sujet lui déplaisait fortement.
-Permets moi d’être direct : c’est une idée étrange. Le sujet est, pour moi, nauséeux.
-C’est un thème fort.
-Pour un film fictionnel, un documentaire ou une pièce de théâtre, je ne dis pas ; mais un ballet !
-Il est tout entier dans ma tête, pourtant…
Depuis qu’ils avaient fondé cette compagnie ensemble, Julian et Erik s’étaient toujours bien entendus. C’était la première fois qu’un différend surgissait entre eux.
-Erik, nous nous sommes mis d’accord pour que tu reprennes des standards dans lesquels tu as dansé et auxquels tu ajoutes ta touche personnelle.
-Et je t’ai répondu que cette façon de voir avait ces limites.
-Tu n’as pas assez d’expérience comme chorégraphe pour te lancer dans une telle aventure !
-Tu trouves !
-Evidemment, je trouve.
-Donc, tu me dis non !
-Erik, tu es sous contrat. Tu ne peux pas décider de monter un ballet qui risque de ne pas plaire. Je te dis non.
-Je croyais que je faisais venir beaucoup de monde…
-Quand tu danses, oui. Tes anciens camarades de New York City Ballet viennent te voir. Tous n’ont pas apprécié que tu te remettes à danser dans leur ville et que tu aies choisi une nouvelle troupe dont on parle beaucoup mais ils en ont été pour leurs frais. Techniquement, tu es parfait et il y a ton aura.
-Donc ?
-Donc, ils t’attendent au tournant comme chorégraphe. Que tu sois ambitieux ne signifie pas que tu sauras t’y pendre avec un ballet complexe. Compte-sur eux pour rire de toi. Martins en tête. Tu crois que je ne connais pas suffisamment l’univers du Met et celui du New York City ballet ?
Erik eut un soupir agacé.
-Je n’ai rien d’autre de prévu.
-L’Oiseau de Feu : mets-y une touche personnelle.
-Non.
Erik grimaça puis partit. L’ancien décorateur comprit qu’il blesserait profondément et le danseur et l’amant s’il se montrait si peu confiant. Celui-ci, depuis que la compagnie existait, s’était dépensé sans compter et avait apporté le succès. Il ne pouvait être aussi sec et très rapidement, il fit volteface.
-Gaspard Hauser, c’est d’accord.
-Tu as changé d’avis !
-Oui.
-Pourquoi ?
-Tu sais pourquoi. Tu m’as fait confiance, tu t’es complétement investi ici et tu fais venir tant de monde ! Rejeter un de tes projets serait maladroit. Je ne peux pas être ingrat.
Il n’évoquait pas, bien sûr, le sacrifice qu’Erik avait fait de Chloé. Le souvenir de cette histoire-là, bien qu’il n’y fît jamais allusion, le faisait souffrir, Julian le savait.
Erik, qui était grave et tendu, se mit soudain à sourire puis à rire et Julian fit de même. Ils ne parvenaient pas à se fâcher.
-Alors c’est oui !
-Allons-y.
-Tu veux mes notes ?
-Non. Cette histoire te fascine. Je la connais mais raconte-le-moi.