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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Des fleurs pour Kyra Ninjinsky !

Elle lui adressa un sourire amusé mais distant.

-C'est très gentil mais attendez un peu ! Je prendrai toutes vos fleurs dans l'état où elles sont. Toutes celles que vous m’avez envoyées étaient parfaites, je peux faire une exception ! Dites-moi, vous êtes danseur classique ?

-Oui, madame.

-A New-York ?

-Depuis trois ans, oui. Au New York City ballet.

-Et avant ?

-Je suis Danois. J'étais dans mon pays et à Londres, un peu.

-Ah oui, le Danemark ! J’ai bien connu Irina, elle a dû vous le dire. Elle a eu une jeunesse mouvementée à l’image de la mienne et quand elle a décidé de se fixer à Copenhague, j’ai été surprise ; mais après tout, moi, je me suis bien installée aux USA ! Sa vie a très riche, c’est une femme curieuse de tout. Il y a eu deux mariages. Le second était intéressant. J’ai été ravie qu’elle reprenne contact avec moi, vraiment. Nous parlons beaucoup au téléphone, désormais. Nous nous étions devenues lointaines et vous nous réunissez. Vous êtes si charmant ! Quel âge avez-vous ?

- Vingt-sept ans.

-Si jeune et si beau… Elle vous a enseigné la danse, n’est-ce pas…

-Elle m'a donné des cours pendant deux ans. C'est grâce à elle que j'ai intégré le Ballet Royal danois.

-Elle vous a entraîné, formé...

-Oui, madame.

-J'ai connu Irina, à Londres, au Ballet Rambert. C'est une très bonne danseuse classique. Elle avait les rôles titres. Du reste, elle a eu une belle carrière. Elle était très blonde. C'était une belle jeune femme très déterminée. J'ai toujours pensé qu'elle ferait un bon professeur de danse. Elle a dû l'être avec vous, le contraire me surprendrait...

-Elle ne prenait plus qu'un élève de temps en temps quand je l'ai connue. Elle était très dure mais juste. Elle m'a énormément appris sur le plan technique mais aussi pour tout ce qui est de la grâce, de l'expressivité. Mais enfin, elle pouvait être terrible ! Et le Russe qui me donnait également des cours l'était aussi !

-Je ne sais qui est le Russe mais Irina ne se trompe pas. Terrible ? Je pense bien.

Elle eut un étrange sourire.

-Terrible...

 Il préféra ne pas aller plus avant et lui dit :

- Elle m'a donné quelque chose pour vous. Je viens de le recevoir.

- Vraiment ?

Il sortit de sa sacoche un paquet. Elle en défit l'emballage et resta silencieuse un moment. Elle reculait dans le temps, descendait dans ses souvenirs. Irina avait envoyé un album photo et une lettre. Il vit Kyra Nijinsky tourner lentement les pages de l'album. Sur son visage, parurent des sentiments contradictoires. Il les observa fugacement. Elle fut perplexe, radieuse, embarrassée puis très émue.

-Elle avait gardé ces photos ! Je me souvenais d'elles mais je les croyais perdues !

Il ne savait pas de quoi elle parlait :

-Vous voyez : d’abord, c’est Londres. Ces années- là, j’en ai un souvenir spécial ! Elle était plus jeune que moi, moins singulière mais forte, forte, une belle personnalité. Et elle aimait faire des photos : il fallait poser. Elle était très adroite avec les gens. Elle les faisait se montrer, se révéler. Je n'étais pas son seul modèle, loin de là. Il avait des comédiens, des chanteurs lyriques, des danseurs bien sûr. L'idée était de faire des photos insolites, singulières. En les regardant, on s'apercevait que l'impression qu'on avait voulu créer n'avait pas abouti et qu'on révélait de soi-même ce qu'on voulait cacher. Ça ne dit rien car vous n'avez pas idée de qui est sur ces photos mais pour moi qui les ai bien connus, je peux vous assurer que la surprise a été grande ! Elle était vraiment douée. Elle aimait choquer et moi-aussi, beaucoup. Nous avons été très liées ! Que c'est inattendu de retrouver cette période et elle !

Elle regardait les portraits avec attention. Il ne disait rien. Elle hochait la tête, paraissait dans son monde. Elle se redressa brusquement et se mit à parler russe. Elle avait les yeux baissés et il ne savait ce qu'elle disait. Sa voix, bien que basse, grondait :

- Чего она хочет? Чего он хочет? Que veut-elle ? Que veut-il ?

Il se sentit mal à l'aise d'autant que la serveuse qui posait devant eux une théière et deux tasses jetait à son interlocutrice un regard peu amène. Il attendait.

Elle tourna encore les pages de l'album, et là, elle parut interdite. Elle était changée, plus dure. Elle tenait l'album dressé non par malveillance mais par maladresse ou pudeur et il ne voyait rien. Irina avait dû se tromper. L'entretien allait mal tourner.

 Les sourcils froncés, le visage partagé entre la nostalgie et la joie, elle dit encore, comme pour elle-même :

-Alors, elle avait ça aussi. Ces photos de moi...Elles avaient celles-là !

Elle pinça les lèvres, se redressa et le regarda droit dans les yeux. De nouveau, elle parlait russe.

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra Nijinsky évoque sa jeunesse.

Il perdait pied. Elle traduisit :

-Jeune fille, je m'habillais comme mon père, en costume et avec une cravate ! Elle avait gardé des photos ! Je ne le savais pas ou plus. Et il y a aussi des photos de moi en Faune ou en nymphe que personne ne connaît, je crois. Le reste, c'est juste elle et moi dans les rues de Londres en 1942. Elle avait juste vingt ans ! On riait ! Elle était aussi double que moi : les hommes, les femmes. Enfin vous voyez...

 Il fut sincère :

-Non, je ne vois rien. Je ne sais pas.

Elle parut radieuse :

-Alors, Irina ne fait pas fausse route ! Que vous êtes jeune ! Et si bien fait et si touchant…

Il rougit si fort qu'elle lui adressa un sourire amical :

-Bon, dites-moi, ce film ? Irina m’a parlé et vous m’avez écrit. Vous faites un film dans lequel vous vous approchez de mon père…Il entrerait dans votre vie, c’est cela ?

-C'est un postulat poétique et, quand j'ai reçu le scénario, l'idée m'a plu. Mais maintenant que je vous vois, je doute du film ! Ce que nous montrons est loin de lui et de vous. Je suis danseur. On est beaucoup à l'être et peu à être grands.  Vous dans ce film et moi qui danserais. Normalement, je dois vous convaincre...

Elle sembla n'avoir rien entendu du tout et ses grands yeux verts d'abord fixés sur lui, revint à l'album qu'elle tourna l'album vers lui. Elle dit avec enjouement :

-Regardez, regardez les photos, voyons !

Elle commença à lire la lettre tandis qu'il feuilletait lentement les pages de l'album. Elle était bébé en Autriche puis petite sur les genoux de son père. Elle était jeune fille ensuite à Paris, à Londres et ailleurs. Enfin, elle était « lui ». Surtout Lui. Jeune fille-Jeune homme. Maintien-regard. Bouche. La même. Provocation- androgénie. Évidemment. Elle voulait tellement être son père. Elle était si tendue. Le col de chemise, la cravate, le chapeau. Masculine ? Elle cachait ses seins. Sa bouche, aux belles lèvres charnues était celle d'une femme. Mais elle était « lui » ! Elle ne pouvait pas être autrement ! Comme elle avait dû l'adorer, souffrir de sa maladie, de ce qu'on faisait de sa carrière et de sa vie, de ses ballets. Mais comme elle était magnifique !

Elle dit encore et il comprit qu'elle l'avait écouté :

-Vous ne savez plus ce que vous devez faire ? C'est cela ? Demandez-le !

-Votre histoire...

 Je suis née à Vienne mais j'ai dansé à Berlin et à Londres. A Paris, j'ai pris des cours de danse à l’école de l'Opéra. Bronislava, la sœur de mon père, m'a partiellement formée. A l'âge de dix-sept ans, j'étais à Berlin et j'y étais seule.

-Votre enfance a été cosmopolite ?

-Oui, très. Mais à la différence de mon adolescence où on a attendu de moi que je sois excentrique et prenne le contre-pied de tout, j'ai été comme une petite fille bien sage. C’était cela que l’on me demandait.

Il lui dit de parler de son père quand elle était petite. Elle dit qu'il sculptait des objets en bois pour elle, de petits chevaux, des cerfs, des ours, des loups et qu'il avait transformé sa chambre d'enfant en joli univers russe, un conte de fée. Elle dit qu'il lui parlait beaucoup quand elle était petite et qu'elle le craignait car il était jeune, beau, bien vêtu et parlait fort.

-Vous savez, il disait : « ma petite Kyra, je t'aime beaucoup »

 A Saint-Moritz, en Suisse, sur le balcon de leur chalet, il se tenait devant elle pour lui apprendre à danser et il disait : « J'ai voulu apprendre la danse à ta maman mais elle s'est effrayée. Elle avait pris des leçons et avait tenté de travailler pour les Ballets russes mais, tu sais, ce n'était pas une bonne ballerine. J'ai été très précis mais elle n'a pas voulu. Elle ne voulait pas un professeur mais un mari. Mais toi, Kyra, je vais t'apprendre. Je vais être patient. Nijinsky est un homme bon. » Il s'est mis en première, en seconde, en troisième et il a dit : regarde, écoute bien ! J'essayais de faire comme lui mais ce n'était pas cela. Je recommençais. Il finissait par être sévère. « Kyra, tu n'es pas en troisième ! » ; « Kyra, ton dos ! »  Quand il voyait que je devenais triste, il faisait devant moi des figures simples et d'autres difficiles. A la fin, il me touchait la joue et disait : « Ballerine ! » J'essayais de lui sourire.

-Ses sauts dont on tant parlé, les avez-vous vus ?

-Oui, sur le balcon de la villa à Saint- Moritz, il faisait ces sauts merveilleux. Je me souviens, il semblait s'envoler. Un des sauts du Spectre de la rose ; pas le plus célèbre, bien sûr. Et une autrefois, il m'a montré un entrechat huit. Il est resté en l'air...Ensuite, il a continué. Avec moi, avec d'autres.  Vous avez bien dû voir ces photos où, devenu un vieux monsieur, il les exécute. Bien sûr, ce que j'ai vu, c'est ma vision d'enfant. Il restait extraordinaire non parce qu'il faisait pour moi mais parce qu'il était Nijinska. N'oubliez pas sa formation : l'Ecole impériale. Aujourd'hui Vaganova. Vous qui dansez à New York, vous ne sauriez sous-estimer cette école. Nijinsky, Noureev, Baryschnikov...Vous connaissez forcément les Russes, vous êtes passé par Balanchine. Les figures, les sauts, l'expressivité, le charisme : mais oui, j'ai vu cela. Nijinsky, mon père, était encore si jeune !

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Ninjinsky : marié et malade.

Erik était violemment troublé.

-Quel âge aviez-vous quand il est tombé malade ?

-J'avais six ans. Bien sûr, je n'ai pas compris. Qu'aurais-je pu comprendre ? Qu’il nous ait poussé ma mère et moi du haut d'un escalier, vous savez, ça a beaucoup de sens pour un adulte et à fortiori pour un médecin. Moi, j'ai eu peur mais j'ai continué de l'aimer. Il lui arrivait de ne plus parler du tout, de revenir trempé de pluie ou de neige de je ne sais où. Il tenait de grands discours qui contrastaient avec ses silences, mais je l'aimais. Un jour, il était incohérent. Le lendemain, il était capable de dire à un infirmier, en français : « ne me touchez pas, je vous prie. » Plus tard, bien plus tard, je me suis demandée s’il était vraiment malade mental ou si c'était son internement qui l'avait rendu ainsi. Et en fin de compte, j'ai compris qu'il était réellement malade. Schizophrène. Vous savez, j'ai été très triste.

-A cause de sa fragilité, de son hérédité, de son frère ?

-Un enfant croit toujours qu'il peut sauver son père qu'il aime...

Il se tut. Elle l'observa :

-Vous êtes comme elle a dit. Déterminé et doux.

-Non, je suis juste...

-Ne m'interrompez pas. Vous avez la douceur des forts. Ça me donne envie de vous parler. Il a essayé d'écrire et de dessiner. C'était le Journal. Il dessinait toujours des cercles, de grands yeux, des figures étranges. Mais principalement, des cercles. J'aime beaucoup ses dessins. En même temps qu'il tombait malade, il restait profond, sensuel et mystique. J'ai su très vite qu’il était mystique et depuis longtemps et vous devez l'être aussi, sans quoi vous trouveriez ses dessins effrayants ? Vous auriez raison.

-Ils sont également effrayants. 

Il lui sourit faiblement et ajouta :

-Mais parlez, madame.

-Il dessinait pour expliquer, pour repousser le Mal. C'était le dernier bastion. Il avait lu Tolstoï, Dostoïevski. Il avait peur de la guerre et de ses aigles...

Il se redressa et dit :

-Le film n'évoque pas le danseur malade. En fait il le suit dans une période limitée de sa vie. Pour moi, les questions sur sa maladie et sa mort ne sont pas bienvenues. Je suis là pour le jeune danseur et sa magnificence...

- « Le Spectre « ? « Le Faune « ? « Le Sacre » ?

-Jeux plutôt que le Sacre.

 Elle lui dit que Fokine pour « Le Spectre de la rose » avait voulu l'harmonie, que le Spectre est harmonieux et qu'il s'inscrivait dans un cercle. Elle avait compris cela de son père. Du Faune, elle dit qu'il était de nature animale, non humaine et qu'il appartenait à un âge d'or. Une autre sphère. Pas la nôtre. Son père savait. Quant à « Jeux », elle savait qu'il en était mécontent mais cela ne signifiait pas que le ballet était mauvais.

-Il passe de l'icône androgyne que Fokine met en place au jeune homme de Jeux. Il y a sa vraie silhouette. C'est lui qui est là...

-C'est cela qui vous intéresse ?

-Oui, à titre personnel. Et c'est aussi le film.

-Vous êtes donc d'accord avec les options du film ?

-Oui, car il est montré en vie. Tous ces textes, ces discours, ces documentaires sur sa tragédie...

Elle avait un accent étrange quand elle parlait. Était-ce un accent russe ou son imitation ? Nijinsky parlait et écrivait le russe et le polonais. Il écrivait mal le Français mais savait le parler et il n’avait pu le faire sans un accent particulier. Elle avait dansé elle-même et rejoint ainsi la « Ballerine » que sa grand-mère maternelle avait été, que sa tante avait été. Il le lui dit et elle parut touchée. Sa langue se délia et elle parla de sa formation de danseuse, des ballets Rambert de ses incarnations du Faune. Il lui posa des questions techniques auxquelles elle sut répondre. Elle pouvait connaître ses limites mais il était impossible de la prendre au piège pour les ballets dansés par Nijinsky.

-J'ai dansé ses rôles ! J'ai adoré le faire !

Elle semblait contente, faisait de grands gestes des bras, parlait avec passion : « Mon père », « Diaghilev », « Fokine », « chorégraphe ». Il était saisi. Il la fit parler de sa carrière de danseuse. Oui, elle avait appris la danse classique. Il lui arrivait d'aller aux entraînements en collants et longue chemise, ce qui ne correspondait pas au costume féminin.  Elle s'était produite des années durant en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis. Bronislava, la sœur de mon père, lui avait donné ses premières leçons ! Comme elle avait appris vite ! Il ne pouvait pas, lui, la lui enseigner. Elle avait suivi des cours à l'école de l'Opéra de Paris, aussi. Et elle avait dansé, peu de temps, il est vrai. Elle disait avec son accent inimitable : « J’ai interprété mon père dans Le Spectre de la rose » et plus tard, j’ai dansé dans une revue sophistiquée, Streamline, et j'ai interprété des extraits de ses plus grands rôles ! »  C’était en 1934. Elle n’avait pas fait une grande carrière, avait épousé un chef d'orchestre, s'en était séparée, avait peint, comme son père, des cercles. C'était étourdissant. Il ne cessait de l'entendre : « Mon père », « Nijinsky. »

-Vous qui aimez dessiner, vous avez représenté votre père ?

-Oui, en costume dans du Faune, du Spectre et du Sacre.

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra Nijinsky. Souvenirs d'enfance.

 

Bébé, on lui avait dit qu'elle changeait, devenait confiante quand son père entrait dans la nursery. Elle faisait partie de lui. Et il était comme elle. On lui avait dit cela, et pas seulement sa mère. Elle parlait, elle parlait et elle montrait les photos. Des amies à elle avant, des photos d'elle dans différentes capitales, son père.

-Vous avez aussi écrit des poèmes ?

-Des textes ésotériques, oui. Dans la vie, je parlais de la Suisse où mon père avait été malade, de Berlin, de l'Angleterre et de Rome. Je parlais aussi de l'Italie, après mon divorce. Tout ceci était, comme vous pouvez l'imaginer, difficile. S'en prendre aux symboles et à l'au-delà peut être une façon d'affronter les « Forces de la Vie autant que celles de la Mort ». C'est pourquoi j'ai choisi d'écrire dans cette veine...

Elle ne disait toujours rien de ce qu'Irina avait écrit et il pensa que c'était peut-être juste une lettre d'introduction. Cependant, il y avait deux heures qu'il était avec elle et comme l'heure du déjeuner arrivait, il supposa qu'elle voulait prendre congé mais elle l'étonna beaucoup.

-Vous avez du temps libre, n'est-ce pas ? Alors, venez chez moi. Je vais vous montrer des photos, des textes...

Il parut stupéfait puis se souvint des consignes d'Irina : « ne lui demandez pas de se justifier et ne posez jamais deux fois la même question ! Ne l'interrompez pas. Placez vos demandes à bon escient et regardez-là. Elle vous regardera aussi même si vous en doutez et en aura appris sur vous. Quant au film, il existe. Ne le laissez pas en arrière sous couvert qu'elle vous intimide. »

-Bien. En ce cas, je vous conduis.

Elle avait un étrange regard fixe et regardait par terre puis elle le fixa et dit « oui ». L'instant d’après, elle s'était levée et il était touché. Elle n'était pas si grande. Elle portait une grande blouse sombre, une jupe longue. Il n'était pas difficile de voir qu'elle avait un buste très fort, qui avait dû étouffer sa féminité. Ce buste, ce grand visage, ce cou fort, ces grands yeux. Nijinsky. Erik sentait que jamais plus il ne vivrait cela. Cette rencontre avec cette femme secrète et, impressionnante qu'il reconduisait chez elle ! En chemin, il reprit les thèmes des fleurs :

-Elles sont fanées…Je vais en acheter d’autres …

-Je les garderai, même fanées.

-C'est une belle réponse.

 Elle avait longtemps habité Los Angeles mais résidait maintenant à San Rafael. Elle vivait dans une maison de petites dimensions qui était claire et bien aérée. Elle était seule mais prise en charge. Manifestement, on lui faisait les courses, le ménage. Rien n'était négligé ou à l'abandon. Dans le salon, où elle le reçut, elle le laissa seul pour mettre dans des vases toutes les fleurs qu'il lui avait offertes et cela prit un peu de temps.

-Prenez place, voyons !

 C'était un décor un peu standardisé, avec un grand canapé, des fauteuils confortables, une table pour recevoir la famille et une grande bibliothèque, d'autres petites tables. Il ne voyait là qu'un intérieur américain, somme toute banal mais un regard plus attentif montrait qu'elle était européenne et raffinée. Les rideaux, la teinte des murs, les grandes lampes qu'elle avait choisies et l'absence d'excès, de surcharge. Elle avait sur une sorte de dressoir, accumulé les photos de famille et celles qui ne pouvaient tenir sur le meuble, étaient encadrées. Il vit son père et sa mère très jeunes d'abord puis déjà d'un certain âge. Ils étaient tantôt ensemble, tantôt séparés. La première photo était celle du mariage. Romola, vêtue d'un tailleur blanc, portait dans ses mains un long bouquet. Elle regardait le photographe mais son visage n'était pas très visible.

28 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Kyra, Vaslav et Romola. Souvenirs.

 

Elle baissait un peu la tête et portait un petit chapeau blanc. Nijinsky était en costume et avait l'air charmant en jeune mari souriant. Il vit aussi des photos de ses parents à elle celles de deux petites filles. Elle était la plus grande et l'autre devait être Tamara, sa sœur mais aussi sa tante, Bronislava. Et bien sûr, des photos d'elle avec Romola et Vaslav, le père et la mère. Mais plus Tamara. Pour l'instant, cela restait très familial, ancré dans l'enfance. Sur un autre pan de mur, cependant, au milieu de ses dessins à elle, d'autres photos apparaissaient, toutes également encadrées. On la voyait adolescente mais bien plus sage que sur l'album d'Irina et surtout amoureuse. Elle posait près d'un homme jeune, longiligne, à l'élégant visage rusé. Le même jeune homme posait près d'un petit garçon qui devait être leur fils : Vaslav Nijinsky- Markevitch. C'était un garçonnet au visage très rond. Il souriait gentiment. Ce ne fut pas tant l'enfant qui l'intrigua sur ces photos somme toute assez convenues mais le « mari ». Dans l'album envoyé par Irina, il figurait à côté de Diaghilev. En regardant avec attention le visage d'Igor Markevitch, il fut renvoyé à celui de l'imprésario. Les goûts de Diaghilev en matière de jeunes hommes étaient connus. Il avait lu récemment qu'il les aimait très jeunes et doués. Il était amoureux des corps de danseurs mais ne dédaignait pas les autres pour peu qu’ils fussent attirants. Markevitch avait un physique plaisant. Il avait beau paraître très content auprès de ce bébé joufflu, il endossait un rôle nouveau. Le précédent était clair. Il avait plu à Diaghilev et celui-ci l’avait formé. Il adorait le faire. Oui, c'était cela. Ukrainien d’origine aristocratique, il avait appris tout jeune le piano dont il était virtuose, la direction d'orchestre et plus tard, la composition. Il avait rencontré Diaghilev en 1928. « L'homme terrible » était mort un an après mais Kyra était déjà dans leur sillage. Elle était tombée amoureuse et l'avait épousé, celui qui avait vénéré l’homme qui avait fait tant de mal à son père. Ils étaient allés de Paris à la Suisse, de la Suisse à l'Italie...Elle s'était mariée avec lui, le jeune compositeur dont il avait lu qu'il était, tout jeune, vaniteux, complexé mais très orgueilleux car Diaghilev lui avait fait commande d'une musique de ballet. Il était plein d'espoir et les années à venir avaient montré qu'il avait de la force et du talent. En Italie, il avait été un grand chef d'orchestre. Comme il avait dû être charmé ! La fille de Vaslav Nijinsky, rien de moins ! L’image du grand danseur russe restait très prégnante. Le mythe était construit. Kyra devait être extravagante, brillante, excessive et si semblable en visage au danseur mort à la danse !  Mariage compliqué mais petit-garçon radieux. Au moins, lui, ne sentait-il rien…

Elle revint et posa sur une petite table une vase plein de grands lys.

-Que vous inspirent toutes ces photos ?

-Je vois passer votre vie...

Elle lui montra des dessins de décor, de costumes pour les ballets qu'il évoquait : le Faune, Jeux, Le Spectre.

-Vous ne pouvez connaître tout cela.

-En effet, non.

Il regarda avec attention tout ce qu'elle lui donna à voir et répondit à ses questions. Puis, elle donna ses impressions :

-Vous savez : je suis une gardienne. Ce que je vous montre témoigne d'une époque disparue. Il y avait une effervescence extraordinaire, une sensibilité qui n'est plus palpable désormais. Le temps a passé. Je comprends que les ballets qu'a dansé mon père et ceux qu'il a créés ne peuvent qu'être montrés différemment. Seulement, c'est mon père. J'ai parfois vu fort peu de fidélité...

-Tout le monde, dans ce film, tente de présenter les ballets et les textes au plus près de lui.

-Oui, vous m'avez envoyé des notes là-dessus, une copie du scénario et des photos. Est-ce suffisant ?

-Oui.

Elle sursauta ;

-Vous semblez bien peu connaître le monde et ses travers !

-Je le connais assez pour savoir qu’on vous écoutera. Je m'y engage !

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Kyra et le danseur Erik.

Elle posa sur lui ses yeux verts :

-En ce cas, je vais être franche. J'ai vu des vidéos du « Spectre de la rose » tel que vous l’avez dansé. Je mentirais en vous disant que j'ai tout aimé.

Il lui front avec vaillance :

-Que dois-je faire ?

-Répétez de nouveau et vous comprendrez. Toutefois, je vais écrire ce qui me semble juste. Vous leur expliquerez. Ils n'oseront tout de même pas me mécontenter !

-Non, je ne pense pas.

Les yeux brillants, il poursuivit :

-Bien. Pourquoi ne dites-vous rien de « Jeux » ?

-Ce que vous faites est très bien. Là, je n'ai rien à dire. Et puis, je sais que vous avez insisté pour que ce ballet soit présenté à New-York et je vous en sais gré.  Je vous suis reconnaissante pour votre détermination.

-Je suis mécontent de moi sur les deux ballets que j'ai interprétés à New- York.

Elle était rusée et faisait attendre :

-Vous avez tort. Vous êtes très bien formé et votre technique est excellente. Vous êtes très expressif et vous sautez merveilleusement. Vous avez un don. C'est évident. Ils le savent à New York : vous êtes programmé, la salle est comble. Ils ne sont pas pressés de vous laisser partir. Je me trompe ?

-Non.

-Ils vous ovationnent. Ils se lèvent pour vous.

-Oui.

-Vous faites plus que les éblouir : vous les atteignez.

-Oui.

-Il ne faut pas confondre votre amour pour la danse et votre grâce infinie avec les errances dans lesquelles on peut vous entraîner. A votre égard, je ne parlerais pas de « talent ». Irina n'aurait pas pris la peine de vous consacrer tant de temps s'il avait été question de « talent ». Vous avez réussi à imposer « Jeux » au Ballet de New York qui n'en voulait pas. Vous êtes au centre du film. Parlez-leur et vous verrez ce que vous obtiendrez.

Il hocha la tête et la vit se lever. Elle réalisait soudain qu'elle ne lui avait rien proposé à boire ni à manger et s'affairait, lui apportant du café et des sandwiches. Elle ne mangeait rien elle-même et allait et venait, un peu lourdement dans le salon tandis qu'il l'observait. Puis, quand il eut fini, elle débarrassa, partit chercher des documents dans une pièce et revint vers lui. Elle lui tendit une photo :

-Tenez.

C'était son père dans un costume oriental raffiné. Allongé, il posait dans une pose alambiquée : les mains sur le sol, le dos tendu et une jambe passant par-dessus l'autre. Son long et étrange visage fardé était surmonté d'une petite calotte orientale ornée de rubans. Erik le reconnaissait : c’était l’envoutant danseur des Danses siamoises. La photo datait de 1910. Ce qui frappait évidemment, c'était la force physique du danseur et l'expression résolument séductrice du regard. Viril et féminin, masculin et efféminé. Russe et oriental. Terriblement exotique pour l’Europe. On avait parlé ainsi de Nijinsky mais qu’avait- on dit ? Qu’il était un jeune prince, un jeune dieu ? Il l’était oui, dans un costume orné de pierreries que n’aurait désavoué aucun prince indien musulman ou hindouiste. Baskt avait dû le créer pour lui, comme il l’avait fait pour d’autres danseurs des Ballets russes et tout était luxueux et coloré. Mais il y avait un décalage : ce costume princier, ce visage changé en masque et ce regard aussi brûlant qu’inquiet…

Il fut silencieux un long moment, la photo dans les mains puis il redressa la tête et il eut un mouvement pour mettre ses cheveux en arrière qui la laissa surprise et presque rieuse. Elle voulait de lui quelque chose qui était dans la photo, il le sentait bien mais c'était à venir car ils se verraient à Los Angeles. Ses grands  yeux verts étaient centrés sur lui :

-Certainement un bon" Spectre de la Rose" et un bon" Faune". Il faudra voir ! Pour "Jeux", je sais.

Mais elle le dit en russe et ne traduisit pas. Il voulait parler des merveilleux costumes des Ballets russes, des décors sur lesquels elle savait tout et de ce que son père avait tenté de dire mais elle l'interrompit :

-Je vous laisse ce carnet. Vous le regarderez. Les textes sont quelquefois en russe. Faites-les traduire. Les autres sont en anglais.

-C'est un prêt très précieux. Toutefois, nous n'avons pas parlé des textes du Journal qui ont été choisis pour le film et des textes qui sont des montages.

-Non, mais vous saurez faire.

 L'un et l'autre étaient las maintenant. Très ému et très déférent, il lui prit une main et l'embrassa. Elle le salua et le raccompagna à la porte mais comme il se retournait pour lui sourire, elle sembla se replier sur elle-même. Certainement, elle viendrait. Elle lui avait donné son accord. Cependant, il le comprit, ce serait difficile. Elle ne voulait pas un danseur si impeccable soit-il ; elle voulait son père. Elle voulait Nijinsky. Elle serait impérieuse et toujours en désaccord.

Il commença à rouler en tentant de s'apaiser mais le doute l'assaillit. Qui regarderait vraiment une personne telle que Kyra Nijinsky ? Qui se préoccuperait de ses intentions profondes ? On attendait qu'elle soit une bonne caution comme on attendait de lui qu'il soit le beau danseur danois qu'on applaudissait à New-York et qui, malgré son succès et son charisme, décidait de faire un film difficile. Ils n'étaient pas là pour changer leur vision. Mais il y avait cette photo extraordinaire, il y avait ce carnet, il y avait cette femme aux yeux verts et cette photo du danseur. Il ne lui restait qu'une seule chose à faire : suivre à la lettre ce qu'elle lui avait dit et ne pas la décevoir...

Il téléphona à Mills que tout allait bien mais qu'il ne rentrerait pas tout de suite. Il devait faire une pause, réfléchir.  Il chercha un joli hôtel en bord de mer. Le Pacifique ! Il était encore assez tôt pour acheter un maillot de bain. L'été brillait. Il s'enfonça dans les vagues et nagea longtemps. Puis il dîna et but du vin blanc. Il respirait calmement et restait en silence.

A Christopher, un peu inquiet, qu’il rappela, il dit :

-C'était incroyable mais il faut que je sois seul, un peu.

-Tout va bien, tu es sûr ?

-Oui, je t'assure. J’ai juste besoin de réfléchir.

Ereinté et confus, il tomba dans un sommeil turbulent. Au matin, il était toujours aussi tendu de nouveau puis il décida de ne plus l'être et s'étira.

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Chloé: la rencontre foudroyante.

 

3. Erik en tournage. Rencontrer Chloé.

Erik tourne un film sur Nijinsky. Il vient de rencontrer l'une de ses filles, Kyra, qui doit venir sur le tournage. Brusquement, il rencontre une jeune fille, Chloé.

Au matin, toute angoisse avait disparu.  Il reprit la route. L'aube était belle. Plus rose que verte au bord de l'océan. Il se sentit comme grisé et plusieurs fois, il fut submergé par une émotion si intense qu'il se demanda s'il ne devait pas s'arrêter là, descendre une petite côte, rejoindre une plage et nager à n'en plus finir. Elle, cette femme, lui avait donné la belle énergie du Faune, après tout et il se sentait ivre de lui-même et du Danseur. L'eau scintillait et il décida de ne pas renoncer. Il se gara. L'océan bruissait et il dévala une pente sableuse avant de rejoindre les vagues douces. La marée était basse. Il n'y avait pas de courant. Il aimait la couleur de l'eau et sa tiédeur. Tout était facile. Il nagea longtemps, très longtemps, s'allongea sur la plage, ferma les yeux et s'écouta respirer puis, une autre fois, il entra dans l'eau. Il était déjà dix heures du matin, c'était un peu tard. Il y avait des promeneurs et d'autres baigneurs. L'océan n'était plus avec lui. Il s'installa à une terrasse et demanda un café. Ses cheveux étaient mouillés. Il s'était changé à l'hôtel et portait un jean et un pull bleu foncé très léger, ouvert en V. Il avait les pieds nus dans ses chaussures. La serveuse était très jeune et très jolie. Elle lui lança un regard appuyé en le servant et alors qu'il n'y avait pas encore grand monde, il la vit, amusé, déambuler de table en table et chercher le moyen de lui parler. Finalement, elle revint vers lui et lui tendit un petit morceau de papier plié en quatre. Il fronça les sourcils, eut un sourire intrigué et déplia le papier : c'était son numéro de téléphone. Il fit « non » de la tête doucement mais la fille qui était très bien faite et avait un visage radieux ne se démonta pas. Elle hocha la tête en signe que oui. Alors, il écrivit sur le morceau de papier : « Danseur. Tournage film : Los Angeles. Horaires. ». Elle pinça les lèvres, réfléchit puis écrivit : « Oui, mais toi, très beau ! Bon motif retard. » Puis elle désigna son cœur. Elle dit « Chloé ». Il ne put s'empêcher de sourire et désignant son cœur aussi, dit : « Erik ». Elle se pencha vers lui, et comme elle avait un corsage un peu ouvert, il vit mieux ses seins qui étaient lourds et denses, magnifiques. Il se sentit brusquement troublé et elle le vit. Elle écrivit : « Toi, Erik, maintenant ». Il rit encore mais elle était belle et l'excitait. Il fit un signe d'acquiescement.  Elle lui dit : « Onze heures-midi, j'ai une pause ». Elle le dévorait des yeux. Il soupira puis écrivit : « où ? ». Elle eut un sourire malicieux et lui répondit : « je viens te chercher dans vingt minutes. Tu verras où. »  Il attendit et bien sûr, elle vint. Elle portait une incroyable robe courte qui mettait en valeur ses longues jambes. Elle était très blonde et avait lâché ses cheveux. Il était content d'être là. Elle habitait à deux minutes et l'entraîna dans un petit studio. Elle ferma la porte à clé et se plaça devant lui. Il lui retira sa robe. Effectivement, ses seins étaient beaux, fermes, émouvants. Il les prit dans ses mains et les serra, ce qui la fit gémir puis s'agenouilla pour lui retirer sa culotte. Elle avait une belle cambrure et il était fier qu'elle fût à la fois si jeune et si belle. Ils s'embrassèrent longtemps et il comprit qu'il aurait pu être rapide, même expéditif sans qu'elle lui fasse le moindre reproche. Mais il prit son temps. Il la caressa longtemps à l'entrejambe à tel point qu'elle criait presque de plaisir quand enfin, il la poussa sur le lit. Il se mit à genoux et poursuivit. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas léché une femme. Dieu que c'était bon ! Elle avait un joli sexe, ses petites lèvres étaient très fines. Quand il ne la caressait pas, il regardait cette extrémité d'elle si dilatée et si humide. Au moment de la prendre, il fut timide :

-Je ne suis pas protégé, tu ne veux pas ?

Mais, elle l'attira avec une telle passion qu'il la pénétra bien plus rudement qu'il ne l'aurait voulu et s'enfonça en elle. Elle n'en parut pas du tout offusquée et lui sourit

28 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3.

 

Elle était vraiment belle : un beau corps bien proportionné, une peau douce et hâlée, un merveilleux visage. Elle s'accrochait à lui et avait relevé haut les cuisses ; elle était très active, très mouillée, assez technique aussi car elle savait accélérer et ralentir son plaisir. Elle le repoussait, le faisait revenir en elle. Elle le stimulait en lui parlant. Rien d'obscène. Des encouragements, des paroles douces aussi. Elle pouvait avoir vingt ans. Il la faisait gémir. Elle passait les mains dans ses cheveux, touchait son visage. Il continuait de la prendre avec émerveillement. Comment avait-il pu oublier à quel point c'était bon de faire l'amour à une femme, à quel point il pouvait s'agir de commencements. Elle n'était certainement pas une professionnelle et encore moins une fille déséquilibrée. Elle était serveuse sans qu'il sache s'il s'agissait d'une profession ou d'un job d'été. Beaucoup d'hommes devaient tourner autour d'elle et de temps en temps, elle était attirée par un garçon, faisait l'amour avec lui et n'avait pas d'état d'âme. Elle était naturelle. La sensualité chez elle l'était. Qu'elle se comportât de manière libre lui plaisait. Il se moquait des idées attendues, vivant lui-même une dualité qui lui rendait la vie passionnante. Il se préoccupait des petits cris qu'elle poussait maintenant, des halètements qu'elle avait et il la prit plus rapidement.  Elle lui répondait en lui caressant les reins et comme elle était en sueur, belle, humide et il sentait qu'il ne se contiendrait pas longtemps. Il le tenta pourtant de le faire et se redressa sur ses bras pour la pilonner autrement. Il voyait son buste ainsi et ses seins et il voyait surtout l'imminence du plaisir sur son visage. Il alla et vint encore en elle, puis se cambra. Elle cria brutalement tandis qu’il gémissait et il la sentit toute secouée de spasmes avant que lui-même ne se libère. Ils restèrent ensuite l'un contre l'autre puis se regardèrent. Des regards sans pensées. Il Resta ensuite un long moment à ses côtés, se contentant de lui caresser les seins. Elle était heureuse et très confiante et quand il se redressa, prenant conscience du temps qui passait, elle poussa un petit gémissement qui marquait sa déception. Il l'embrassa sur les lèvres et lui sourit encore. Ce fut elle qui se montra bavarde.

-Erik, vraiment tu es un bel amant !

-C'est un beau compliment !

-Tu as l'habitude qu’on t’en fasse !

-Non.

-Je ne suis pas curieuse, tu sais, mais tu es très attirant, élégant et en plus, tu n'as pas l'air d'être sot. Difficile de te croire timide et chaste.

-J’ai eu mes moments sages et d’autres agités…

Il lui sourit, prit une douche dans le minuscule studio et se rhabilla.

-Je peux rester ?

Dans les draps, elle était belle. Elle fit un signe de tête négatif :

-Malheureusement, non ; C'est une question d'horaire, dit-elle. Je travaille. Sinon, je l'aurais refait avec toi, c'est sûr. Tu as une bouche très habile. Je n'avais pas été aussi bien léchée et prise depuis longtemps et vraiment j'adorerais l'autre orifice ! Rien que d'en parler, je suis très excitée.

Il était devenu un peu distant. Elle dit :

-Oh mais peut-être que tu détestes toutes ces pratiques de sodomie. Certains hommes n'aiment pas du tout.

-Moi, j’aime.

-On dirait que ça te fait sourire !

Il ne put s'empêcher de s'amuser : elle n’avait idée de rien. Aucun Mads, aucun Julian ni la cohorte de leurs clones et suiveurs n’existaient pas pour elle…Et pourtant, chacun d’entre eux était là, si pesant…

-Oui, mais tout peut prêter à sourire ! Personnellement, Je t'aurais volontiers prise de cette façon. Je n'ai rien contre, bien au contraire. Mais, tu travailles et j'ai mon tournage.

-Ton tournage mais c'est vrai ?

-Oui.

-Et danseur ?

- Aussi. Danseur classique.

-C'est impossible ! Tu es peut- être acteur et tu fais beaucoup de sport mais danseur dans des ballets avec des tutus ! Ah non, là, je ne te crois pas ! Mais tu mens !

Cette fois, il rit plus franchement. Puis il la prit dans ses bras et la serra contre lui. Il l'embrassa sur la bouche et sur le front et quand il partit, elle lui demanda s'il avait gardé son numéro de téléphone. Il dit « oui ». Alors, elle prit un autre bout de papier et écrivit : « Erik, la prochaine fois, toi, moi, deux orgasmes. » Elle était adorable. Il se noyait dans ses yeux bleus.  Elle avait un visage très bien construit où les disharmonies mises ensemble créaient la beauté. De profil, avec son petit nez busqué, elle était mystérieuse. De face, c'était une belle Ève de la Renaissance italienne. Belle, belle. Elle le regardait avec intensité et il la trouvait adroite de n'avoir remis sur elle que sa robe moulante.

-Je dois te donner quelque chose !

-Non, Chloé ! On ne se connaît pas !

-Mais, je m'en fous de ça. Je te fais un cadeau.

Elle enroula autour de son cou un foulard indien bon marché. Il était pour lui, à cet instant, le plus merveilleux des cadeaux.

-Bleu et vert. Il va avec tes habits.

-C'est un cadeau charmant. Et tu es si belle !

-Ah non, non. Ou « juste jolie ». Mais toi, tu es...tellement mieux. Un peu trop ailleurs, j'ai eu de la chance, je crois...

- J’en ai aussi.

- On va se revoir ?

- On va se revoir.

- Pourquoi ?

- Moi Chloé, toi Erik. Je ne pourrai oublier. Je suis sûr.

-Moi-aussi.

28 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Chloé, troublante et peu oubliable.

 

Il lui dit qu'il l’appellerait et il reprit la route. Il avait ses odeurs sur lui, ses belles odeurs de femme. Elle l'avait totalement enchantée : ses beaux seins, ses longues jambes, cette bouche du haut si pulpeuse et celle du bas, plus secrète et terriblement accueillante. Rien que d'y penser, l'excitation le reprenait en entier. Elle adorait les beaux torses, les épaules fermes, les jambes musclées et les sexes bandés, cette fille et il ne lui donnait pas tort. Après tout, elle avait un joli corps fait pour l'amour. Ses belles hanches, le triangle rosé de sa chatte, sa taille fine, ses seins magnifiques et ses lèvres charnues, enfantines encore ! Une belle jeune fille sur fond de mer, une naïade...Une naïade ? Non, plutôt une nymphe. Comment ça une nymphe ?  Oui, elle était très crédible en longue tunique blanche, les cheveux tirés. Ah mais dans ce cas, alors...Une émotion violente le traversa soudain :

-Ce n'est pas possible, ça ne peut pas être vrai ! Mais c'est le Faune ! Elle avait des regards...Et les miens la soumettaient. Ce ne peut être possible ! Le Faune ! Incroyable. Comme je la regardais, comme se pliait dans l’amour et jusqu'à ce foulard. Je pourrais m'en servir pour jouir comme il fait en pensant à son corps, à ses promesses, à ses joues encore enfantines et à ses beaux regards. C'est simple. Elle m'a rendue comme lui. Enfin plutôt « Elles ». La femme aux yeux verts et l’Ève radieuse. Et Lui, car il faut le suivre.

Il ne cessa, en rentrant, de penser à l'abandon de Chloé et revit ses cuisses écartées, le triangle blond de son pubis et le dessin de ses lèvres intimes ; il revit son excitation aussi. Comme c'était bon ! Il sut qu'il la reverrait. Une prochaine fois, ils seraient nus sur une plage ou dans une forêt et ce serait aussi intense. Il lui donnerait des nouvelles.

Quand il se gara, à Corona del Mar, devant la grande villa, il était bien plus tard que prévu.  Tout le monde était là. Mills fut direct :

-Eh bien, dis-nous ce qu'il en est de Kyra Nijinsky ?

-Elle honore le rendez-vous. Elle prendra l’avion.  

-Fort bien ! Précise.

-Sans la lettre de mon professeur de danse à Copenhague et sans l'album, elle n'aurait pas accepté. Comme quoi, tout cela était judicieux.

-Que disait la lettre ?

-Je ne sais pas.

-Et l’album ?

-Ce sont des photos d'elle le plus souvent prises par Irina Nieminen, mon professeur à Copenhague mais par d'autres aussi. On la voit quand elle était petite puis jeune fille. Il y a beaucoup de photos d'elle en danseuse quand elle se produisait en Allemagne et à Londres et d'autres où elle porte ses costumes.

-« Ses » costumes ?

-Oui, elle est photographiée en spectre, en esclave, en dieu bleu : ses rôles. Et elle est photographiée en Lui. C'est à dire vêtue comme lui avec le même regard, le même visage. Celles-là sont souvent d'Irina.

-C'est sans grande importance, non ?

Erik fut interloqué. C'était une remarque naïve. Wegwood l’épaula :

-C'est une femme âgée et c'est un passé lointain. Bien que sûr que c'est important. Elle s'est revue...

Mais Mills parut méfiant :

-Probablement. Mais dis-moi, concernant le tournage ?

-Elle a lu le scénario et l'a annoté.

-Elle a compris ce qu'on voulait faire ?

Erik regarda Mills et fit un signe de tête négatif.

-C'est la fille de Nijinsky. Elle veut qu'on en tienne compte.

Mills parut stupéfait :

-Qu'on en tienne compte ? Tu m’inquiètes ! Elle est fantasque.

-Elle a le droit de les vouloir ! Quel est le sens de cette expérience sans elle ? Elle doit juste venir pour dire que tout est très bien ? C'est la fille d'un des plus grands danseurs du vingtième siècle !

Wegwood lui décocha un regard entendu : Mills commençait toujours par dire non et s'arc-bouter. Mais cette fois ci, le danseur ne temporisa pas.

-Elle est forte et cohérente. Je suis restée longtemps avec elle, d'abord dans un salon de thé et ensuite chez elle dans un appartement désuet où tout renvoie aux Ballets russes… Elle a parlé de tout, mais surtout de la danse. Elle sait ce qu'elle dit.

-Ce que tu dis me plaît, nuança Wegwood. On doit s'attendre à être bousculés. C'était quand même un enjeu de départ. Et tu as raison : c'est sa fille !

Mills resta songeur :

-Mais c'est toi que je vais surtout filmer quand elle sera là...

-Tu changeras d’avis. Tu changeras forcément d’avis !

Wegwood sourit devant l'audace et l'habileté d'Erik mais Mills faillit mal le prendre.

-Aucun dépassement de budget n’est autorisé et Baldwin me tarabuste !  Bon, toi, tu fais venir la fille de Nijinsky et tu décrètes que le film sera fort ! J’espère qu’elle ne sera pas trop difficile à manœuvrer !

De nouveau, le chorégraphe intervint :

-On paniquait parce qu’elle ne venait pas et maintenant, on redoute qu’elle vienne et perturbe tout ! Elle a un fort caractère et est respectueuse de son père ; moi, je n’ai pas d’inquiétude. Je crois qu’elle sera ravie, Erik y veillera.

Mills finit par dire :

-Bon, on va faire confiance puisqu’Erik semble avoir faire de multiples conquêtes en Californie ! Je n’avais pas pensé à mademoiselle Nijinsky mais pourquoi pas !

La remarque amusa le danseur qui se mit à rire. On prit un verre et on se sépara.

Dans les jours qui suivirent, Erik eut Julian au téléphone. Il lui parut enjoué, comme si l’agressivité dont le danseur avait preuve à son égard et la façon dont il lui avait répondu n’étaient plus que de lointains souvenirs.

-Mademoiselle Nijinsky a fait ta conquête : j’ai reçu ta lettre !

-J’ai hâte qu’elle vienne sur le tournage.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik, Julian, le film et les questions.

 

Julian était sagace. Cette fois, la voix d’Erik était différente. Elle n’était pas « invitante ». Il n’était donc plus question d’un voyage en Californie ? Ce danseur restait si versatile ! Il décida de le surprendre et il lui annonça une nouvelle déconcertante.

-Pour ce tournage, je continuerai de te soutenir. Appelle-moi dès que tu le souhaites et écris-moi. Pour le reste, je dois te faire un aveu : je connais un acteur depuis quelques temps. Il fait du théâtre. Il me plaît et c’est réciproque. Je t’avoue que je suis heureux, ça se concrétise !

-C’est bien ! Très bien même ! Je suis content pour toi.

-Et toi ?

-Je travaille.

Erik se mentait : il faisait mine de congratuler son ancien compagnon mais paradoxalement, il était sincèrement contrarié. Julian et lui s’étaient montrés sauvages l’un avec l’autre mais ils s’étaient aussi aimés et compris.

-Il n’y a personne qui t’attire ?

-Non.

-Tu peux avoir une aventure.

-Je n’y pense pas.

-Tu devrais…

Il mentait encore. Julian le salua. Leur liaison était défaite mais il restait ce lien incompréhensible. Il tenta de se secouer :

-Mais je suis idiot ! J’ai fait la belle rencontre d'une jeune fille et j’en reste très ému ? Je me suis laissé guider par la beauté d'un corps et d’un sourire et j’en reste bouleversé !  C’est convaincant. Il est préférable après tout qu’à New York, Julian soit tombé amoureux. Et c’est mieux de ne rien avoir dit.

Préférable ? Était-sûr ? Mais bientôt, il pensa à la beauté physique de Chloé et se mit à sourire.

 

Les premiers jours passés dans cette grande demeure au caractère dépaysant et l’imminence du tournage montraient déjà qu’Erik était à sa juste place et s’en tirait bien.  Le reste, si reste il y avait, pouvait attendre. Toutefois, il était désireux de parler et Christopher Wegwood lui parut être la bonne personne.

-J'ai passé près de huit heures avec Kyra Nijinsky et c'est une des journées les plus importantes de ma vie.

-C’est ce qui m’a semblé.

-Elle viendra. Elle est tout ce qu’Irina a dit. Elle est un témoignage…Elle veut toujours être lui. Elle m’a fasciné.

-Son impact sur le film sera décisif, tu le sais comme moi.

-J’en suis sûr ; en même temps, elle est si forte ! Elle risque de me contraindre, de me transformer…

-Erik, là, je ne peux pas te suivre.

Ils étaient sur la terrasse de la villa où logeaient les danseurs, mais le danseur voulut continuer leurs échanges dans sa chambre. Des livres et des revues étaient empilés sur un bureau et au mur étaient collées toutes sortes de fiches portant sur le grand danseur et son époque. Un album empli de photos de Nijinsky aux temps des Ballets russes était ouvert à la page du Faune et des chaussons de danse étaient posés sur une tablette. Pas n'importe lesquels non, de ces chaussons sur mesure que les grands danseurs recherchent. Il y avait deux grands miroirs et un lit qui n'était pas fait. Manifestement, Erik travaillait avec acharnement et restait humble.

-Erik, les questions que tu te poses reçoivent-elles des réponses ?

-Elles sont partielles mais heureusement, on m’aide. Il y a d’abord une finlandaise qui m’a formé jadis. Elle connaît la fille de Nijinsky et elle est un bon guide ; et à New York, j’ai un ami qui travaille pour l’Opéra. Lui-aussi a un grand savoir sur cette période.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. L'Aveu d'une attirance.

Wegwood se voulut rassurant. L'attitude de ce danseur prêtait à confusion puisqu’il paraissait tantôt embarrassé, tantôt détaché mais il était encore très jeune et n’avait jamais tourné de film.

-Tu n’es pas seul, on te soutient, tu vois. Alors qu’y a- t-il ? Tu sembles fragile tout d’un coup.

Erik, qui se surprit lui-même, entra brusquement dans le domaine des confidences.

-Je viens d’avoir une aventure avec une fille. Elle est belle, solaire, je voudrais l’aimer. Ce serait facile avec elle.

Wegwood sourit :

-Ah mais c’est très bien !

-Mais à New York, j’ai eu une liaison compliquée avec un homme.

-Elle est terminée ?

-Oui.

-Eh bien, alors ?

-Je ne sais pas trop…

-Indépendamment de ton art mais à cause de lui aussi, tu es très attirant. Je ne pense pas que ça mette autrui en danger sauf si on se trompe sur toi et qu’on confonde amour et captation. Moi, j’ai eu quelques errances puis j’ai trouvé une femme avec qui je partage beaucoup. Nous avons deux enfants. Je me suis ancré et ça me convient. Que tu attires un homme mûr ne me surprend pas. Je ne sais pas ce que tu as vécu avec lui et ça ne me regarde pas. Mais tu es jeune et en devenir : ta californienne bien faite pourrait te permettre d’être plus solide. Tu ne peux pas le savoir pour l’instant et tu ne le sauras que si tu persévères, et elle-aussi. Mais crois-moi, on peut vraiment s’épanouir avec une femme !

-Elle est très jolie. Je ne m’attendais pas….

-Tu es beau, ce n’est pas rien. Pour le reste, tu fascines les spectateurs ; tu as été choisi pour cela. Ce film peut te faire grandir, d’apprendre à accepter l’épreuve et en sortir vainqueur. Tu es face à un danseur russe qui a marqué l’histoire de la danse. Vis cela comme une exception étincelante dans l’ordinaire de ta vie enchantée !

Suffoqué, Erik regarda le chorégraphe avec curiosité.

-J’ai la force ?

-J’en suis certain ! Tu sais ce qui me fait dire ça ?  Le fait qu’un homme ou une femme puisse t’aimer mais qu’à mon sens, une femme est préférable pour toi ? C’est ce que tu es quand tu t’entraînes chaque jour et que je te vois à la barre avec les autres danseurs. Vous faites les mêmes gestes : la jambe sur la barre, le buste penché, le mouvement des bras. Les figures debout. Vous cherchez de temps en temps leurs images dans le miroir et poursuivaient. Le mouvement, la grâce, le travail. L'équilibre, le travail, la grâce. Encore. Vous vous se penchez, vous tournez sur eux-mêmes, vous sautez et vous retombez et vous recommencez Encore. Bras levés, jambes croisées, élan, saut. Encore. Tu es tout entier dans ce que tu fais et si on t’observe, on voit à quel point tu es gracieux et habité. Tu sais, je pense à un texte de la romancière française Françoise Sagan sur la danse. Elle évoque Rudolph Noureev et le texte est au singulier mais je vais le mettre au pluriel. Ça dit ceci : « Ces hommes et ces femmes à demi- nus dans leurs collants, solitaires et beaux, dressés sur la pointe de leurs pieds, et regardant dans un miroir terni, d'un regard méfiant et émerveillé, le reflet de leur Art." Toi, tu cherches ton image, on te voit la capter et je crois que ça peut rendre très amoureux un homme qui est très esthète ou une belle jeune femme ; mais crois-moi, essaie avec elle…

Erik sourit et fit oui de la tête.

Revoir Chloé était impératif car bientôt, on quitterait Corona del Mar pour Los Angeles où tout serait plus compliqué. Erik appela la jeune fille à plusieurs reprises et réussit à la convaincre. Il la verrait dans un petit hôtel, ne voulant pas lui imposer les autres. Elle le rejoignit et le charma. Elle portait une robe verte, légère, aux fines bretelles. Il la trouva conquérante et se soumit à elle avec bonheur.

-Retire tes vêtements.

Quand il le fit, elle l'observa. Elle regarda le torse à la respiration un peu hachée, les hanches étroites, la peau plus claire qui lui succédait, les jambes musclées et il lui envoya un regard approbateur.

-J'ai attendu ce moment, tu sais.

-Moi-aussi. Tu gardes ta robe ?

-Non !

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik et Chloé. Désir et amour.

 

Bientôt, elle dit à Erik de garder les yeux ouverts tandis qu'ils se rejoindraient. Elle verrait, dans le plaisir, l'éclat bleu du regard de l’amant et son expression mouvante, toute habitée par le désir. Il lui obéit un temps puis inversa leur position ; il s’allongea sur elle et sentit sous le sien ce corps racé qui lui obéissait. Il laissa s'affoler la respiration de l'amante puis il se redressa, leva une des cuisses de la jeune fille et la pénétra. La prise fut lente mais ferme. Chloe se mordit les lèvres. Elle avait presque mal. Erik lui fit l'amour le plus longtemps qu'il put et il observa, face au sien, ce visage que la recherche du plaisir rendait tantôt lisse tantôt soucieux. C'était tantôt un profil mouvant dont les contours étaient harmonieux, tantôt une face pleine aux beaux reliefs. Chloé laissait aller sa tête d'un côté et de l'autre comme pour endiguer la force du plaisir et se sentait heureuse. C'était bien plus qu'un moment de partage, c'était une acceptation profonde, la signature d'une dépendance réciproque et toute nouvelle. Bouleversés, ils s'étreignirent et s'accrochèrent l'un à l’autre puis ils se regardèrent longtemps. Erik fut le premier à parler.

-Tu sais pourquoi je voulais te voir !

-Oui.

-Je tombe amoureux.

-Moi aussi.

Erik fut alors traversé par une idée simple : il devait accepter qu’elle continue ou non de lui répondre. En l’aimant elle, il se sauvait de lui-même, il en était certain. Il espérait seulement qu’elle en aurait l’intuition. Ils se promenèrent ensuite, prirent un verre puis revinrent faire l’amour. Elle partit au matin.

C’était les derniers jours à Corona del Mar et déjà, on rangeait tout. Erik était tendu. Comme un soir, il s’endormait vite, il fit un cauchemar qui le bouleversa. Il était à New York avec Julian et ils étaient allongés l’un près de l’autre, nus mais les couvertures remontées. Malgré l'harmonie que dégageaient la vaste chambre à la décoration précieuse, la douceur des draps et la tiédeur alanguie de leurs corps, malgré l'apaisement qui venait après la jouissance, la semence, la sueur, la salive, ils n'en avaient pas assez. Se penchant vers le buste de son ami, Julian se mettait à en lécher la peau claire avant de la mordiller d'abord avec douceur. Quand il mordait plus fort, Erik gémissait et se rebellait :

-Tu me fais mal.

-Je sais. Tu aimes.

-Mais non !

-Si. Tu aimes.

Il le mordait encore et le jeune homme regimbait ; mais Julian continuait d'insulter et d'embrasser, de caresser et de pincer. Le corps d'Erik était le corps de l'amant. L'amant n'est pas fiable, il faut le corriger, il faut le réprimander pour ses manquements mais il faut l'honorer pour ce qu'il sait faire ; et de toute façon, le désir est trop fort. La prise peut se faire sans honneur. Il faut faire jouir l'amant mais il faut le priver. Il faut l'étonner et le charmer mais l'abaisser. Il faut le faire jouir et jouir de lui. Il faut l'adorer, le caresser et le malmener. Seules les punitions rendent la jouissance violente puisqu'elles sont justes, puisque l'amant a failli. Entravé, il est plus beau. Il n'est pas rebelle. Il reste l'âme et les intentions mais les liens les rendent difficiles...

Dans son rêve, Erik finissait par dire.

-Tu n’es pas réel ; je t’ai quitté et de toute façon, tu as rencontré quelqu’un d’autre !

Mais l’américain se fâchait :

-Attention Erik je ne suis pas méprisable. Je suis Ta rencontre. Tu penses que tu n’as plus rien à faire avec moi mais tu te leurres.  Un tel entrelacement, un lien si fort malgré tout et la mansuétude malgré les humiliations et les années qui, même sporadiquement, nous voient ensemble c'est bien le signe d'un amour violent.

-Trop violent en effet !

-Quelle erreur, mon amour !

Et, de nouveau, Erik, était à New York, dans la chambre de Julian. Très excité, il se laissait faire. Il écoutait ces mots qui le féminisaient, le ridiculisaient et recevait les doux sévices de son ami.

-Dis « encore ».

-Non.

-Dis « encore »

-Encore.

-Bien ! Si je te crache au visage, que diras-tu ?

-Je dirai oui

Erik eut un sourire intérieur. L'ami le battait, crachait, léchait ses crachats sur ses joues. Erik, hors de lui, crachait aussi. « Mais où prend-il ce crachat, me disais-je, d'où le fait-il remonter si lourd et blanc ? Jamais les miens n'auront l'onctuosité ni les couleurs du sien. Ils ne seront qu'une verrerie filée, transparente et fragile. » Julian avait lu Jean Genet. Blessure. Idole. Humiliation. Idole. L'ami voulait faire l'amour encore, lui relevait de nouveau les jambes pour pouvoir le prendre en voyant son visage. Il voyait les belles lèvres d'Erik, si bien ourlées, cette bouche généreuse qu'il avait et aussi, ses pommettes hautes, son regard bleu et l'implantation de ses cheveux blonds. Il les voyait dans les tressautements du plaisir. Belle idole qui appelle la jouissance, en est inondée et la donne. Un autre râle et c'était bien.

Se réveillant en sursaut, Erik cria. Cette histoire-là était finie ! Pourquoi cet horrible rêve ?

Juste avant son transfert à Los Angeles, il revit Chloé. De nouveau ils allèrent à l’hôtel mais le choisirent plus beau. Ils firent longuement l’amour puis nagèrent et dînèrent. Elle le trouva soucieux mais il s’efforça de rire beaucoup et fut tendre avec elle.

 

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Tournage, inquiétude et présent magnifique.

Toutefois, son inquiétude demeura. Il était toujours en relation avec Kyra Nijinsky et continuait ses envois de rose. Elle lui fit parvenir une photo de son père qui n’était pas une copie mais un original. Nijinsky dans le costume des danses siamoises. Il avait une expression extatique. Sans savoir pourquoi il agissait ainsi, Erik en fit un duplicata et le mit sous enveloppe. Il l’adressa à Julian et la posta. Quarante-huit après, il fut appelé.

-Tu as une copie, toi aussi ?

-Non, j’ai l’original. Le prince oriental des Danses siamoises.

-Parfait. Tu peux faire fortune.

-C’est un prêt.

-Qu’en sais-tu ? Je pensais à une autre photo.

-Laquelle ?

-Il est beau, allongé, alangui. Ses yeux sont fardés et il sollicite, il attend. Et ce costume qu'on devine chamarré, étincelant, malgré le noir et blanc. Il est jeune, vingt ans tout au plus et il guette l'odalisque, la préférée, la belle, celle avec laquelle, bientôt il dansera et qu'il possédera.

-Oui, je vois.

-Note que ça pourrait être toi.

En des années de travail, Julian n'avait eu en main, lui qui côtoyait des chanteurs d'opéras, des chefs d'orchestre, de grands couturiers et des peintres en vogue, une telle magnificence : une vraie photo de Nijinsky, issue d'une sphère artistique ou familiale. Diaghilev avait dû la voir. Et cet Erik lui en envoyait une copie…

-Quoi d’autre venant d’elle ?

-Un carnet. Un mélange de textes et de dessins...Certains textes sont en russe... La plupart des dessins sont de Bakst lui-même. Il dessine en fait les costumes qu'il a créés pour les Ballets russes jusqu'en 1914, les derniers étant La légende de Joseph et Papillons, deux chorégraphies de Fokine avec des musiques de Richard Strauss et Robert Schumann. On dirait un balayage de sa carrière. Il a dû lui donner le carnet et elle y a écrit ensuite, l'inverse me semblant moins probable. Si tu regardes bien les dessins tu verras aussi les costumes de Jeux. Or ils ne sont pas de Bakst. On peut être sûr qu'elle a écrit dans ce carnet mais il y a d'autres écritures. Là, c'est Bakst. Et là, c'est Nijinsky. Je suis formel. Des petites notes sous un dessin ! Regarde, ça a été découpé et collé. Il avait appris le dessin...Incroyable ?

-Surtout pour moi. Je ne sais pas ce que tu as reçu, pardon, ce qu’elle t’a prêté. Je dois me contenter de tes descriptions, n’ayant sous les yeux ni l’original ni des photocopies…

Le danseur frémit.

-Tu les verras à New York, si tu le souhaites.

-Oui, sans doute. Ce tournage ?

-Les ballets vont être filmés.

-Tout le monde t’aime ?

-Remarque étrange.

-Non, je te connais. Ils ont dû mettre la barre plus haute quand tu leur as montré ce carnet et cette photo. Et ça les a rendus encore plus pressants ! Ils attendent tant de toi !

-Tu es railleur ?

-Non. Tu n’as pas été choisi par hasard.

-Je le sais ; malgré tout, c’est difficile.

Julian changea de cap sans crier gare.

-Tu as fait une belle rencontre ?

Erik hésita un peu puis répondit :

-Oui. Une jeune femme.

-Très bien. Quand je t’ai vu avant ton départ, nous nous sommes apaisés mais enfin, il reste des souvenirs cuisants. Tu es très ambivalent…

Le danseur se mordit les lèvres : depuis quand l’ambivalence était-elle un obstacle à une attirance passionnelle ?

-Tu ne trouves pas ?

-Si.

 C’est bien que tu aies rencontré une jeune fille : tu vois, l’Amérique te réussit !  Moi, il me plait toujours.

-Mais tu es là si j’ai besoin de conseils…

-Oui.

-J’y tiens.

-Au revoir, Erik.

Erik aurait pu fort mal prendre la façon dont Julian mettait fin à leur échange, mais ce ne fut pas le cas. La nuit même, il s’endormit facilement et fit, cette fois, un rêve heureux. Le dormeur au beau visage qu’il était rejoignait le prince androgyne de la photo, qui n'avait ni son teint clair ni sa blondeur ni ses traits purs. Et, quand il se sentait proche de lui, tous deux voyaient s’ouvrir le royaume des ombres. Avant d’y pénétrer à la suite du grand danseur, Erik songeait au carnet et à la photo. De tels présents et de tels enjeu ! Devait-il les conserver ? Mais Nijinsky, qui le précédait, lui faisait signe que non. Il souriait.

Inquiet malgré tout, il se tourna vers Irina. Ne tenant pas compte du décalage horaire, il la réveilla abruptement mais elle ne lui en tint pas rigueur. Elle parut d’emblée vive d’esprit et attentive.

-Oh, Erik ! Kyra me parle de vous !

-Madame, j’ai besoin de conseils.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Demander conseils à Irina.

-Je suis une guerrière ; attendez-vous à être déconcerté !

-Je sais, madame, comment vous êtes. On a eu une relation très forte quand j’étais votre élève. Quelquefois, je me suis vraiment fâché et vous vous êtes adoucie. Le Russe était juste un cran au-dessous d'elle mais ça n’avait pas le même impact ! Vous étiez tout le temps en guerre mais vous êtes une guerrière paradoxale.

-Paradoxale ? Je ne comprends pas.

-Mais si, madame. Vos cours étaient chers. On a payé tout ce qu’on a pu mais à la fin, vous ne vouliez plus. Vous m’avez même payé des stages. C'était extrêmement généreux et pour moi, incompréhensible, je vous l'avoue.

-Oui, j’ai fait cela pour vous par calcul et par générosité, vous savez. Je vous ai programmé pour devenir quelqu’un ! Ce que j’ai donné, je savais pouvoir le reprendre. Vous alliez briller et j’en serais la cause avec Oleg ! Vous ne pourriez pas vous séparer de moi. Vous savez pourquoi ? Je suis l’une des Nornes. Je ne vous apprends rien, Erik : les Nornes sont des Déesses nordiques qui tissent les destinées des humains. Elles sont trois : Urd est la déesse du passé, Verdandi est celle du présent et Skuld, celle de l'avenir. Elle les réunit, en fait.

-Comment me voyez-vous ?

-Comme Balder, le plus beau des dieux, le dieu du printemps...

-Je dois me réjouir ?

-Non, Erik :  Balder est tué par Loki, le dieu du mensonge et du carnage. Vous le savez, tout est repris ou presque dans les Niebelungen...

Erik parut frappé, bouleversé mais ne dit rien. Irina reprit :

-Heureusement, tout est cyclique.

-C’est-à-dire ?

-Nous sommes des êtres de spectacle, non ? Alors, nous pouvons convoquer les mythes. Le printemps ne va pas vous quitter et tout carnage sera tenu à distance. Allons, je parle par symbole car je sais que vous les aimez. N’ai-je pas raison ?

-Si, madame.

-Dans ce cas, vous avez compris qu’avec ce film, on vous encensera mais on vous persécutera aussi. Et dans votre vie, il en ira de même. Vous faites des rencontres n’est-ce pas ! Une jeune fille ?

-Oui. Belle, fine, américaine.

-Pas juste elle ! Il y a quelqu’un d’autre.

-Oui. Il est à New York. J’ai été violent avec lui et lui avec moi.

-Il est proche de Nijinsky ?

-Il est d’une grande culture. Il connait parfaitement les Ballets russes.

-Ne vous inquiétez pas de Loki. Vous êtes Balder !

-Kyra Nijinsky le pense aussi ?

-Ah Kyra ! Ce qu’elle pense de vous ? Vous le comprendrez quand elle viendra sur votre tournage. A propos, ils sont exigeants ?

-Lui et elle ?

-Oui. Très.

-Tant mieux.

-Je ne peux pas répondre à l’un et à l’autre.

-Pensez aux mythes !

-Madame, soyez plus claire !

-Non, Erik.

Elle demeurerait sibylline sur ce sujet ; Erik préféra évoquer son tournage et le dit difficile.

-Madame, encouragez-moi !

-En ai-je besoin ? Je suis sûre que vous faites face.

Elle ne désirait pas aller plus avant et il préférait qu’elle reste laconique. Il avait peur au fond de ce qu’elle dirait.

-Nous partons. Los Angeles.

-Kyra ? Vous craignez qu’elle se dérobe ? Non, elle viendra et en pensées, je serai là.

-Merci, madame.

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. En tournage à Los Angeles.

4. Erik et l'équipe du film à Los Angeles

Et puis, ce fut Los Angeles ! Enfin, ils s'approchèrent de la grande ville et avec le bel élan naïf d'un Européen qui découvre l'Amérique, le danseur s'exclama !

-Le cinéma, Hollywood !

Et tous, sans savoir ce qui les attendait, furent heureux comme des enfants. On tournerait dans les studios de Burbank. C'était le nord d 'Hollywood. Baldwin travaillait pour New line cinema qui était rattaché à la Warner. Il était producteur indépendant et avait sollicité l'appui d'un grand studio. Pour que le film existe, il avait dû réunir les fonds, ce qui, pour un film aussi ambitieux et pointu que celui-là, avait dû lui demander beaucoup d'habileté et beaucoup de relations. Il est vrai que le scénario était bien ficelé et que Mills savait être convainquant.

Chloé, voulait délaisser le restaurant pour lequel elle travaillait sur la côte pour un bar à Los Angeles où elle serait serveuse. Cette ville était tentaculaire mais sa rencontre avec Erik était très récente : si elle n’était pas combattive, ils se perdraient de vue. Elle cherchait activement un emploi temporaire.

La production avait pourvu Erik d'une chambre d'hôtel et c'était le premier soir. Il marquait le début d'une longue aventure. Le tournage des ballets en costumes et dans de vrais décors allait commencer, Kyra Nijinsky était attendue, d'autres scènes allaient être tournées, entremêlant des images dans danseurs en costumes, certains textes du Journal et des réflexions des danseurs eux-mêmes. Tout cela s'avérait passionnant. De plus, le compositeur des musiques additionnelles allait croiser celui qui avait supervisé l'orchestration des morceaux de Von Weber, Debussy et Stravinsky utilisés pour le film. Grâce à Julian, Erik avait pu rencontrer des chanteurs d'opéra et des chefs d'orchestre de premier ordre mais ce tournage lui donnait l'opportunité de découvrir une infime partie de cette Mecque du cinéma. Il s'en réjouissait. Tout exalté, Erik alla retrouver Mills et Wegwood, mais une fois seul, il se sentit partagé. Il était heureux que Chloe se rapproche de lui car il la découvrirait davantage. Il voulait vraiment l’aimer davantage, mais quoi qu’il en dise, Julian, lui restait dans le cœur et cela le mettait dans l’embarras. Il pensait avoir tiré un trait.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3.

Les studios de Burbank étaient aussi labyrinthiques que prévu et Erik mit un temps certain à trouver les lieux exacts du tournage. Quand ce fut fait, il prit ses marques. Mills allait filmer plusieurs grands ballets de Nijinsky ; ce serait intense. Le matin du premier filmage, Erik disparut très vite car les danseurs devaient s'échauffer. Wegwood les attendait en coulisses. Mills, le metteur en scène plutôt effacé des débuts, n'était plus le même homme. Se tenant très droit, il parlait à des techniciens avec autorité et ne faisait preuve d’aucune timidité. L’équipe qui lui faisait face réglait le son et les éclairages sans que rien ne lui échappât et quand il fut tombé d’accord avec elle, il parcourut le décor pour être sûr que rien ne manquait. Le chorégraphe et le danseur principal étaient surpris de cette transformation mais au fond, elle les rassurait : on allait filmer Le Spectre de la rose et Mills saurait faire face. Il avait exigé que la présentation du ballet fût la plus conforme possible à la première, or, il y avait longtemps qu’on ne décorait plus ainsi une scène que les costumes des danseurs avaient changé…Il vérifia une fois encore que tout était parfait puis sortit du champ. Les lumières furent réglées et les danseurs entrèrent : il voulait s’assurer qu’eux-aussi étaient parfaits.

Adélia, la petite danseuse, portait un long tutu vaporeux et Mills qui la fit tourner sur elle-même, fit un signe d’assentiment avant de regarder Erik. Celui-ci était magnifique ; il avait de quoi être saisi. Le beau visage aux traits symétriques avait une expression à la fois douce et grave que le maquillage forcé à l'extrême rendait singulier. Le teint était pâle, tout en rose et en blanc, les yeux étaient cernés de khôl et n'en paraissaient que plus bleus et les lèvres était plus rouges que roses. Ce visage pourtant couronné d'un joli casque de fleurs inspirait le respect que l'on doit à la poésie et à la beauté et nul dans l’équipe de tournage ne le prit en dérision. Ce n'était pas le visage d'un être efféminé, c'était une sorte d'apparition si délicate et en même temps si présente que tous furent violemment charmés. Erik portait le costume du jeune spectre. Des fleurs étaient peintes sur sa tenue et d'autres étaient cousues. Il avait placé sur ses bras des bracelets de fleurs et il se dégageait de cet ensemble rose et vert une harmonie totale. Il se tenait droit avec cette rigueur que la danse impose et personne ne pouvait rester indifférent face à ce corps fin mais ferme, à cette musculature de danseur qui était le fruit de longs exercices et à ce port de tête si significatif d'un être plein de distinction. Et il avait des chaussons de danse. Mills, hors champ, donnait des conseils à ce danseur à qui le monde du cinéma était inconnu. Erik les recevait avec humilité mais semblait sûr de lui. Pourtant, peu après, sa fragilité parut. Que craignait-il ? Qu'on se contentât de le prendre pour un joli jeune homme ? C'était impossible. Qu'on ne comprît pas qu'il montrait la beauté ? C'était plausible mais encore peu recevable. Alors qu'y avait-il ? Wegwood n’avait pas de réponse et se contenta de le regarder longuement. Cela parut suffire. Tandis qu'il se plaçait face à la caméra avec sa danseuse, il parut en lutte avec lui-même. Lentement l'inquiétude recula et il ne resta plus que l'esprit de la fleur, son essence, sa beauté diffuse. Il fit un signe de tête. Mills vérifia le cadrage. Seul Erik semblait lui importer. Les danseurs disparurent de nouveau. Mills voulait filmer l’intégrale d’un ballet magique : ils allaient la lui donner.

La scène était vide et peu éclairée. Il y avait deux grandes fenêtres latérales, un canapé près de la fenêtre de droite et un grand fauteuil au centre de la scène. C'était conforme à Bakst. Adelia, la ballerine entra par le côté gauche. Elle portait une longue robe de ballerine, toute blanche et un manteau mauve et blanc. Bakst toujours. Et elle avait une très jolie coiffe de dentelle. A son corsage, une rose.

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Gautier et Fokine.

 

 Wegwood pensa aux vers de Théophile Gautier :

Soulève ta paupière close

Qu’effleure un songe virginal ;

Je suis le spectre d’une rose

   Que tu portais hier au bal.

Tu me pris encore emperlée

Des pleurs d’argent de l’arrosoir,

Et parmi la fête étoilée

                                Tu me promenas tout le soir.     

 

Elle entra heureuse, rêveuse, traversa la scène et retira son beau manteau qu'elle posa sur le canapé puis retirant la rose de son corsage pour l'admirer et la sentir. Elle sembla défaillir à la fois par la force de ses souvenirs et à cause de la délicate odeur. Elle se souvenait tant de ce bal ! Elle se laissa aller sur le fauteuil et alanguie, s'endormit. Comme le sommeil la prenait, la rose tomba et au moment où elle touchait le sol, le Spectre parut à la fenêtre de droite, mince et radieux, les bras au-dessus de la tête et souriant, dans une belle pose attentive. L'instant d'après, il avait sauté et se rapprochait du fauteuil de la belle derrière lequel il dansa avant de décrire un cercle gracieux plein de figures et de sauts puis il sembla danser pour lui et les figures se multiplièrent. L'attention évidemment se concentrait sur lui et il occupait l'espace qu'il rendait si aérien ; puis il revint vers elle et se plaça derrière le fauteuil où il vit cette merveilleuse danse de séduction qui est particulière puisque seuls les bras dansent. C'était ce que Fokine avait fait de plus fort ! Il avait inventé la variation masculine où le danseur montrait des ports de bras jusqu'alors réservés aux ballerines. Il fallait des mouvements techniquement parfaits ni trop féminins ni trop forcés. Le buste devait se pencher d'un côté puis de l'autre et le visage devait rester radieux...Cela en réveillait la jolie dormeuse qui tendait vers le beau fantôme un de ses bras...

 

Ô toi qui de ma mort fus cause,

Sans que tu puisses le chasser

Toute la nuit mon spectre rose

A ton chevet viendra danser.

Mais ne crains rien, je ne réclame

Ni messe, ni De Profundis ;

Ce léger parfum est mon âme

       Et j’arrive du paradis.

26 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik danse le Spectre de la rose.

Et elle se levait, il la conduisait. Elle était sur les pointes, lui, marchant près d'elle et ils dansaient ensemble mais peu de temps car ils en revenaient vite à des figures séparées, toutes jolies, toutes difficiles. Elle revenait à son fauteuil pour de nouveau s'assoupir et il venait la chercher encore. De nouveau, ces mouvements de buste et de bras et ces sourires ! Puis venait ce pas de deux célèbre dans le monde entier dont aucune reprise, si distante qu'elle se voulait de la création originale, ne pouvait faire l'économie tant il avait marqué l'histoire de la danse moderne. Ils se séparaient ensuite et il avait encore toutes sortes de figures en solo. Les sauts qu'il devait faire et qui avaient tant marqué les esprits devenaient nombreux. Il occupait toute la scène maintenant et dansait avec grâce. Il devait encore une fois revenir vers elle qui semblait le réclamer et le poursuivre et encore une fois, ils dansaient. Ils semblaient se saluer, se contempler, s'accompagner. Ils se penchaient l'un vers l'autre. Elle bondissait. Il la portait. Tous deux étaient aériens, tout en enroulement et déroulement. Puis, elle s'assit une dernière fois sur le fauteuil et brièvement, il s'agenouilla. Il ne s'agissait plus maintenant que de danser seul et c'était ces grands jetés qui étaient entrés dans l'histoire, l'ultime retour vers elle, son revirement vers la fenêtre, ce bras qu'il levait et ce grand saut vers l'infini...

 

Mon destin fut digne d’envie :

Pour avoir un trépas si beau,

Plus d’un aurait donné sa vie,

Car j’ai ta gorge pour tombeau,

Et sur l’albâtre où je repose

Un poète avec un baiser

Écrivit : « Ci-gît une rose

Que tous les rois vont jalouser »

 

Quand ils s'arrêtèrent, le silence était total et ils se regardèrent inquiets. Wedgwood, qui avait discrètement suivi le filmage, s’avança vers ses danseurs et tous les trois regardèrent Mills et l'équipe technique. Chacun d'eux savait ce qu'il avait fait mais Mills, quoique néophyte, avait ces exigences, qui étaient celles du film. Il fut clair. Il y avait longtemps qu’il voulait filmer quelque chose d'aussi beau et, en répétition, Erik et Adelia ne lui avaient pas semblé si bons. Cependant, il le leur avait déjà dit, il voulait avoir deux versions. Il verrait ce qu'il en ferait. Wegwood s'apprêta à conseiller ses danseurs et à tout recommencer après une pause qui était prévue. S’approchant d’Erik, il demeura saisi. Sur son visage, errait l'esprit de la rose, d'une manière si tendre et émouvante qu'il en fut touché. Il regarda ce visage maquillé, viril malgré les fards et rencontra son regard :

-Tu n'es pas encore parmi nous...

-Non, c'est vrai, pas encore...

-C'est le Carnet ?

-Le Carnet. Le Journal. Ses paroles. La danse...

-Et la Rose ?

-Je suis la Rose. Maintenant.

-Et tu ne peux me parler facilement...

-Non.

26 mars 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 3. Je suis le spectre de la rose.

 

Mills annonça la reprise. L'instant d'après, de nouveaux réglages étaient faits, puis on filma. Le jeune homme dansa de nouveau. Il fut plus fort et en même temps plus viril. Adelia eut plus de douceur. Elle garda une expression rêveuse qui suggérait l'abandon mais, quand elle imita le doux geste de se pencher vers la rose qui était à ses pieds, elle eut une intensité nouvelle. Au moment du pas de deux, ils furent plus retenus qu'abandonnés. Adelia était pourtant la même jolie rêveuse. Il était toujours aussi androgyne et troublant mais il irradiait davantage. Pourtant, le pas de deux qu'il dansa avec elle fut plus aérien. Les mouvements de bras étaient plus somptueux, les sauts plus parfaits, la sensualité et la grâce plus tangibles. Et à cela, il y avait une raison qui n’échappait à personne : il était à la fois la rose telle qu'on l'a cueillie et posée dans son corsage et il en était l’esprit qui se met à hanter de façon impérieuse une jeune fille. Ils dansaient, il tournait autour d'elle avant qu'elle ne le rejoigne. Il était tout en courbes et en même temps si ferme, si présent, si gracieux. Il était un esprit obstiné, charmant, suppliant. Il était aussi prompt à prier qu'à charmer. Il adorait autant qu'il demandait à l'être. Radieux, mouvant, il allait de l'invisible au visible avant de regagner par un saut immense dans l'infini un monde qu'elle ne connaissait pas. Et elle n'avait de cesse qu'il revienne encore. Tout le monde fut émerveillé. Il y avait ce ballet, ces thèmes du cercle, que ce soit celui du rêve, de la mort ou de l'amour. Et il y avait ce qu'il faisait naître, lui, Erik. Une beauté aussi précieuse que rare. Tout le monde sentit le changement et Mills montra cette fois sa satisfaction en regardant Adelia et Erik avec admiration. Un des techniciens se mit à applaudir et tous suivirent. Toutefois le danseur et la danseuse parurent presque timides. Cela plut. Le mystère restait entier. Ils avaient été touchés, électrisés, tous. Pourquoi sinon ? Tout avait été magnifique. L'inhabituel crée le magnifique. Pourtant, ni le spectre ni la danseuse ne disaient rien. Mills dit qu'il était très content de l'une et l'autre versions et qu'il   les utiliser de façon partielle. Il remercia brièvement Wedgwood et Adelia et se tourna vers son danseur.

-Je suis subjugué. Ces pirouettes, ces sauts, toute cette gestuelle splendide à la fois si précise et si harmonieuse étaient déjà pour moi un langage nouveau et ensorcelant à Corona del Mar ; mais là, c’est enivrant !

Malgré tout, il y avait ce corps d’Erik marqué par l'effort et ce beau masque attentif mais de cela, il ne dit rien. 

Le reste de la journée, Mills fut occupé à filmer des scènes où Erik ne figurait pas. Il fut donc libre, retourna à son hôtel et dormit. Un appel de Chloé le réveilla. Elle était déjà en pourparlers pour travailler dans un bar à L.A et selon elle, l’affaire était dans le sac. Elle avait tout de même besoin de connaître les moments de liberté d’Erik. Il les lui donna. Vibrante et enthousiaste, elle évoqua une école de dessin à New York. Il était très difficile d’y entrer et même si elle présentait un dossier convainquant, elle devrait être boursière. Elle voulait savoir ce qu’il en pensait. Il fut très enthousiaste. Oui, quel bonheur si elle venait à New York ! Il l’aiderait pour trouver un logement, se faire des amis, découvrir des bars chaleureux ou intrigants et ils pourraient se voir souvent. Ils rirent tous deux. Toutefois, même si sa joie était sincère, il ne put que se questionner quand elle eut raccroché. Si elle réussissait son pari et intégrait cette prestigieuse école, elle serait là, prêt de lui. Elle était encore subjuguée ; le resterait-elle ? Et lui ?

Le lendemain, elle confirma son transfert à Los Angeles. Il la félicita. Le même jour, il reçut une lettre de New York. Julian lui envoyait trois photos : le Spectre de la rose, l’Après-midi d’un faune, Jeux. Trois grandes interprétations du danseur russe. Il avait joint un message :

« L’ordre est correct ? Si ce n’est pas le cas, précise-le-moi. Tu n’as rien à craindre. Quand vient-elle ? Kyra Nijinsky, je veux dire. »

Il en resta tremblant et alla contempler son visage dans le miroir de la salle d’eau. Bölder…

Puis il appela. Julian parut surpris.

-Quoi ! Ces si belles photos ne suffisent-elles pas ?

-Je suis inquiet.

-Tu l’as toujours été avant d’entrer en scène. Là, c’est un film donc c’est différent : tu es encore plus en tension mais je suis sûr que tu sais où tu vas.

-Si le tournage était à New York, ce serait plus simple car…

-Non. C’est faux et tu le sais. Je comprends ce que tu essaies de me dire mais ça n’a pas de sens. Pour les prochains appels, pense au décalage horaire…

-Oh, je suis navré !

-Ne le sois pas. Je te laisse. Je ne suis pas seul.

 

21 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Erik en tournage.

 

5. Tournage à Los Angeles. Erik et Nijinsky.

Chloé, la jolie jeune fille qu'a rencontrée Erik arrive à Los Angeles pour être avec lui. Le filmage de L'Après-midi d'un faune se profile. Le danseur, pris dans un jeu d'influence, est fébrile.

Chloé était arrivée. Elle servait le soir dans un bar chic et avait trouvé aussi à promener des chiens. Elle était déterminée et savait s’y prendre pour gagner sa vie. Erik la félicita. Elle le vit davantage et continua de l’aimer. Il était blond, européen du nord et séduisant. C'était un visage qui s'accordait bien avec le monde d'aujourd'hui, celui d’un jeune artiste en quête d’idéal, certes mais déterminé et ambitieux. Il fut, de son côté, plus perplexe. De lui, elle captait la jeunesse, le charme et le pouvoir de séduction ; mais elle ne cernait le danseur. Les questions qu’elle posait sur le film manquaient de profondeur. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il y faisait. Restait une attraction physique importante, une vraie rencontre émotionnelle et une grande tendresse réciproque. Dès qu’il le put, il refit l’amour avec elle. Elle était belle. Il la déshabillait. Il frôlait de ses mains, les jambes, les bras, le torse, les épaules de cette jolie fille et ne se lassait pas de la tiédeur de sa peau. Il écoutait sa respiration, sentait le sang battre à son cou et à ses tempes et usait de gestes simples et adroits pour l’exciter. Charmée, elle le laissait la prendre et se libérer en elle.

-On apprend à faire l’amour comme ça, au Danemark ?

-Je te désire.

-Oui !

Elle en était heureuse mais commençait à le trouver paradoxal. Quand il se vêtait, il était souvent tout en bleu marine comme avait pu l'être les lointains condisciples des écoles chics dans lesquelles on avait inscrit l’élite bostonienne ou newyorkaise. Il était sobre et plein de classe mais ambigu. Elle finit par le questionner :

-On tombe souvent amoureux de toi ?

-Ça arrive.

-Des ballerines ?

-Il y en a eu une méchante et une très gentille. Elle était plus âgée que moi.

-Tu n’attires pas que les femmes, n’est-ce pas ?

-Non.

Il était assis en face d’elle, dans une chambre où ils avaient fait l’amour et il le regardait.

-Tu veux en parler ?

-Non.

-Moi, je préférerais.

-Il y a mieux à faire…

Erik lui décocha un regard sans équivoque qui la troubla. Bientôt, ils se retrouvèrent l’un et l’autre dans l'abandon de l'amour physique. Elle fut lisse et doux, acceptant de son amant des caresses raffinées et lui demandant d'en inventer d'autres.

-Oh Erik ! C’est bien une fleur que tu dansais dans le film que tu tournes ! Qui pourrait voir une fleur en toi ! Tu n’es pas si féminin ! Il lui semblait à mille lieues de ce spectre qu'il avait incarnée et de toute image poétique, libre et sensuel mais il la détrompa.

-Mills veut nous filmer au maquillage et au démaquillage. En m’observant, si tu le pouvais, tu verrais peut-être paraître quelqu’un d’autre.

-Un androgyne ?

-A toi de voir…

-Si c’est le cas, ce Mills te désire !

Il rit avec sincérité.

-Non, je ne pense pas !

-Alors, ce chorégraphe que tu as mentionné ?

-Non plus. Laissons ce sujet.

Elle n’en avait pas envie.

-Un homme peut tomber amoureux de toi quand tu es ce spectre. La ballerine dort, elle, et rêve mais celui qui te convoiterait, lui, serait vigilant et actif.

Erik pensa à Julian, qui s’y souvent, l’avait vu danser, était allé dans sa loge. Actif, oui, il l’avait été. Mais l’heure n’était pas aux confidences. Plus jeune que lui, Chloé avait eu deux amourettes et des rencontres faciles avec des californiens bien faits. Ils n’avaient pas les mêmes élans…

-Nijinsky jouait beaucoup sur l’ambiguïté. Le spectre était fait pour troubler et le faune, plus encore.

Elle resta silencieuse. Quelquefois, Erik n’avait même pas besoin de répondre…

21 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Préparatifs et filmage.

 

Comme Erik l’avait dit, Mills filma les danseurs se costumant et se maquillant et il fallut refaire les prises plusieurs fois. Il était ce jour-là très énervé et très obstiné. Pourtant, Erik était précis quand il couvrait son visage de fard blanc, redessinait ses yeux, ourlait sa bouche et vérifiait si tout allait bien. Mais il demandait encore. Refaire le maquillage des yeux, refaire le maquillage de la bouche. Encore lisser les cheveux. Mettre encore la coiffe pleine de fleurs. De face, de profil. Non, farder encore. Être de face. Être de profil. Se tourner lentement. Lever la tête. Encore. Erik n'omettait aucune objection. Il obéissait. Enfin Mills parut satisfait et dit avoir filmé ce qui lui était utile mais il fallait maintenant passer au démaquillage. Il cherchait le moment où les fards se diluent et où le vrai visage n'est pas encore reconnaissable. Il traquait certains regards, ceux que le danseur se lançait à lui-même pour vérifier la progression de son travail. Il traquait les mouvements du visage. Il cherchait. Là encore, il fut très long. Erik dut de nouveau le farder pour ensuite se démaquiller et ne dit rien. Il fallut ensuite qu'il retrouve avec sa danseuse les poses de Nijinsky et il le fit avec application. De profil, le visage levé, Erik était le frère de Vaslav. Son regard avait la même intensité et la même élévation. En pied, avec Adélia, il copiait les mouvements de bras du danseur et sa ferveur. Mills avait l'air radieux. Le danseur, très concentré cherchait ce qui était le mieux. Les costumes étaient à l'identique, la gestuelle du grand danseur scrupuleusement observée, les postures, les regards, jusqu'aux sourires et à la gravité. Les prises de vue furent longues et tous parurent ravis qu’elles prennent fin. Le lendemain, le danseur alla au studio seul. Mills voulait filmer le grand saut du spectre. Cela lui prit une matinée. Erik pensa qu’ils étaient quittes mais son metteur en scène le retint encore pour le filmer reprenant certaines postures et il accepta. La journée fut longue et quand Erik retrouva Chloé, il lui dit par le menu ce qu’il avait fait. La jeune femme lui parut peu compréhensive et il en fut surpris.

-Il t’observe ainsi ?

-C’est du cinéma.

-Il te scrute, c’est étrange.

-Non, ça fait partie du film. C’est l’histoire d’une fascination. Celle d’un danseur classique qui se heurte à Nijinsky.

Elle resta circonspecte.

-Lui, il te filme. Moi, tu sais moi, j’aimerais te dessiner. Je suis une bonne portraitiste !

-Bien sûr !

Il la prit dans ses bras.

Dans les jours qui suivirent et alors qu’elle n’avait pas encore mis son projet à exécution, Erik fut confronté au second ballet clé du film.

L’Après-midi d'un Faune était le premier ballet de Nijinsky. C’était davantage le travail d'un jeune homme singulier que celui du grand danseur des Ballets russes à l'image ciselée. Aussi célèbre que le Spectre de la rose, il était auréolé de toute une relation à la modernité. On le dansait beaucoup, on le commentait sans cesse. C'était un objet d'étude pour intellectuels, une fascination pour les chorégraphes, un objet de nostalgie, un fantasme qui hantait les imaginations. Mills parut très tendu avant le tournage et Erik lui-même s’inquiéta. Il n'avait pas trouvé la barre si haute pour le Spectre de la rose mais le Faune l'angoissait.

-Il me croit infaillible alors que je suis faillible. Je mets beaucoup de temps à être satisfait de ce que je fais et je n'hésite jamais à défaire pour refaire. La perfection est un devoir. Irina me le disait. Oleg aussi.

Erik se trompait. Mills jouait sur ses failles et Wegwood aussi dans une moindre mesure.   C'était étourdissant de filmer dans l'effort un danseur classique aussi entraîné qu’un athlète d’autant que jamais il ne renonçait. Il pouvait admettre bien sûr qu’il fût fatigué ou indécis, mais tout cela était passager…

21 mars 2024

ErikN/Le Danseur. Partie 3.

ErikN/Le Danseur. Partie 3.
Comme Erik l’avait dit, Mills filma les danseurs se costumant et se maquillant et il fallut refaire les prises plusieurs fois. Il était ce jour-là très énervé et très obstiné. Pourtant, Erik était précis quand il couvrait son visage de fard blanc, redessinait...
21 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. L'Après midi d'un faune. Le poème et le ballet.

 

L'argument du ballet était connu. Debussy avait, en 1892, écrit dans le programme imprimé pour la première parisienne : La musique de ce Prélude est une illustration très libre du beau poème de Stéphane Mallarmé. Elle ne prétend nullement à une synthèse de celui-ci. Ce sont plutôt des décors successifs à travers lesquels se meuvent les désirs et les rêves d'un faune dans la chaleur de cet après-midi. Puis, las de poursuivre la fuite peureuse des nymphes et des naïades, il se laisse aller au soleil enivrant, rempli de songes enfin réalisés, de possession totale dans l'universelle nature.  C'était bucolique et le ballet pouvait être dansé ainsi mais dès l'abord, il ne l'avait pas été. Le danseur russe avait pour idée de faire un ballet inspiré de la Grèce antique. Il avait soumis cette idée à Diaghilev qui l'avait accepté, voulant encourager les débuts de chorégraphe du danseur et ayant aussi l'intention de le mettre à la tête des Ballets russes. Nijinsky n'aurait pas, personnellement, choisi Debussy mais il n'était pas seul. Cette musique était trop douce pour les mouvements qu'il imaginait pour la chorégraphie qu'il voulait créer. Quant aux décors, il ne les voulait pas tels. Un paysage sylvestre évoquant le symbolisme avait bien été créé mais le jeune chorégraphe voulait, lui, un motif plus épuré dans l'esprit des toiles de Gauguin. Toutefois, ce fut Léon Bakst. Quand Picasso intervint, Nijinsky était déjà malade …

Mills filmait un ballet dont l'argument était clair : sur un tertre un faune se réveille, joue de la flûte et contemple des raisins. Un premier groupe de trois nymphes apparaît, suivi d'un second groupe qui accompagne la nymphe principale. Celle-ci danse au centre de la scène en tenant une longue écharpe. Le faune, attiré par les danses des nymphes, va à leur rencontre pour les séduire mais elles s'enfuient. Seule la nymphe principale reste avec le faune puis elle s'enfuit elle-aussi en abandonnant son écharpe aux pieds du faune. Celui-ci s'en saisit, mais trois nymphes tentent de la reprendre sans succès, trois autres nymphes se moquent du faune. Il regagne son tertre avec l'écharpe qu'il contemple dans une attitude de fascination. La posant par terre il s'allonge sur le tissu.  Il avait décidé de reprendre l'idée de Bakst qui consister à réduire l'espace des danseurs. Ainsi, ils pouvaient les éclairer de façon à ce qu'ils ressemblent à des personnages de vases grecs. Le décor était simple et lumineux. Cubiste par certains aspects, donc proche du désir de Nijinsky. Par contre, il avait gardé les costumes et les maquillages, les perruques, inspirées des coiffures des déesses grecques, les tuniques des nymphes façonnées avec de la gaze plissée. Et, comme à l'origine, pour le maillot du faune, les taches étaient peintes directement sur le tissu. Tout ce qui avait pu être écrit sur le ballet tel qu’il avait été créé à l'origine avait été lu. Toutes les photos possibles avaient été analysées. On avait écouté des historiens, des exégètes. Des chorégraphes avaient été contactés pour évoquer les plus célèbres versions du ballet. On avait comparé les plus grands faunes, les meilleures versions musicales. Tout cela reflétait un long travail.

21 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Filmage de l'Après midi d'un faune.

Forts de toute cette préparation et du temps qu’ils avaient passé à répéter, Wegwood et Erik se présentèrent sur le plateau bien plus confiants qu’ils n’avaient pu l’être au départ.  Pour le premier filmage, Mills fit preuve d’une grande rigueur, ne laissant rien au hasard. Il filma le ballet en entier avec bonheur et se dit très content. Dans les jours qui suivirent, son attitude changea. Il appela beaucoup son chorégraphe et son danseur principal car toutes sortes d’idées lui venaient, qui allaient un peu modifier le plan de tournage. Comme chacun d’eux le considéraient avec un mélange d’amusement et de sérieux et qu’ils lui étaient reconnaissants d’avoir filmé avec enjouement et grâce le Spectre de la rose, ils n’osèrent rien lui refuser. Ils acceptèrent un second puis un troisième filmage et cédèrent aux demandes de Mills. Celui- filma Erik, de profil, de face, debout puis allongé. Il filma les positions des bras et celles des jambes, celles des mains, et de la tête. Il fit de même pour Adelia qui jouait la nymphe qui éveille le désir et fit de nombreuses prises avant de revenir au danseur. Il filma les positions du corps, quand le faune s'éveille, s'étire et se dresse. Dix prises. Il filma les expressions du visage et les regards et les fit modifier encore et encore. Il cherchait une sensualité et une dureté, une innocence et une licence que le danseur finit, à bout de souffle, par lui donner, sans avoir conscience de l'avoir fait. Onze prises. Car le faune, seul, était déjà ainsi. Il lui fit refaire encore et encore le fameux saut que le jeune russe avait imaginé pour son faune. Cinq prises. Il filma encore et encore, le casque de cheveux dorés qui faisait du danseur une créature d'un autre monde, ses regards aigus quand il voyait les nymphes et celui, presque tribal, qu'il lançait à celle qu'il élisait. Cinq prises. L'agenouillement de la nymphe fut refait encore et encore car les gestes des deux danseurs ne le satisfaisaient pas. Il leur fit travailler leurs regards et leurs attitudes. Celle du faune qui dominait la nymphe et celle de la jeune fille qui s’abandonnait. Erik devait garder la tête plus droite et avoir un port de bras plus ferme. Six prises. Mills revenait vers eux et expliquait. Il filmait encore. Personne ne lui opposait quoi que ce soit. Le chorégraphe était aussi muet que les danseurs. Le metteur en scène se sentait heureux. Il recommença le lendemain et les jours suivants avant de prendre une décision qui parut étrange à tous sauf à Erik. De tout un chacun, il avait obtenu le meilleur mais ce faune ne lui avait pas encore tout donné…

Il y eut de nouveau des scènes du ballet, des gros plans de lui et d'elle, avec une prédilection pour lui. Son regard à elle était plein de concupiscence. Son regard à lui, plein d'un désir païen. Le metteur en scène se voulait directif :

-Plus cru, plus sensuel, plus prédateur, Erik !

Et comme cela ne semblait pas suffire, il dit encore :

-Plus sexuel, plus impulsif, plus primitif.

Il cherchait l'idole : corps de profil, assis jambes croisées, mais tendues. Corps debout, tendu, mouvements rythmés, grande tension. Puis corps de face, de profil. Ce que faisait Erik ne lui plaisait pas. Il faisait refaire les prises, encore, encore. Ce qu'il voulait, le danseur le comprenait, c'était un corps en jouissance qui fut en même temps un corps idéal : la quête s'avérait sans fin. D'autant que ce qu'il ne trouvait pas quand il filmait le ballet, il le cherchait encore dans les photos qu'il prenait et qui l'aidaient pour le film. Tout était très dense et les jours filaient.

Wegwood fut le premier à regimber :

-Erik, qu’est-ce que tu fais ? Il te reprend beaucoup. Il avait dit ne pas le faire…

-Nijinsky aimait le faune.

-Oui mais c’est un rôle exténuant. Mills ne le sait peut-être mais toi, si. Il faut le lui dire. Il ne peut pas mesurer l’effort physique et physique qu’il te demande. Tu vas en ressortir épuisé.  Parle-lui.

-Je ne le ferai pas. Et ne le fais pas non plus.

-Ah ! Erik !

Courageux, le chorégraphe choisit de désobéir. Mills expliqua mais refusa de se justifier.

-Erik joue Ian. Dans le film, le Faune marque une rupture. Il butte sur cette créature archaïque qui ne peut contrôler son désir pour les nymphes. On a laissé entendre que le danseur russe, prisonnier de son rôle, avait joui sur scène. Il n’avait pu contrôler son désir. Il faut que ce basculement soit perceptible. Voilà un danseur de notre temps qui devient presque animal…On est au centre du film. J’insiste beaucoup, je sais mais il y a une sorte de folie dans ce film ; là, elle jaillit.

 

21 mars 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 3. Le Faune et ses ambiguités.

 

Ceci dit, le metteur en scène insista encore puis parut satisfait. Erik lui avait donné ce qu’il voulait : cette dérive vers le fantasme et le mythe…

Le décor était magnifique, les costumes très beaux et les éclairages parfaits. Erik avait été, comme Nijinsky, cousu dans son costume et son visage était fardé à l’identique. Il portait un casque qui était la réplique de l’original. Les scènes où il était allongé sur son tertre, celles où les nymphes apparaissent et celles où il les assujettit étaient belles mais le malaise commençait à sourdre. Ian allait vers un point de rupture. Il se tenait tout droit, son corps tavelé étant aussi attentif que son beau visage fardé, les tavelures de l'un rappelant les tâches de l'autre.  Il scrutait le monde, tout étonné que le désir l’envahisse à ce point et suffoquait…Et Erik qui jouait Ian cédait aussi et brouillait sa propre image.

Après ce filmage, il se sentit vidé. Cette fois, il se morigéna. Il n’appellerait pas Julian. Mais ce fut celui-ci qui lui téléphona.

-Ta voix est différente, Erik, qu’y a-t-il ?

-Le filmage du Faune m’a beaucoup demandé.

-C’est-à-dire…

Erik resta silencieux, cherchant des mots simples qui se dérobaient.  Sagace, le décorateur reprit :

-C’est le chorégraphe qui insiste trop ?

-Non.

-Le metteur en scène ?

-Oui.

-Qu’est-ce qui se passe ? Je ne peux pas t’aider si tu ne me dis rien.

-On dit que Nijinsky, pris par le désir, a été pris par une sorte de vertige, une fois, et qu’il n’a pu se retenir sur scène…

-Ah, je vois. Tu t’es senti dans les mêmes dispositions que lui ? L’écharpe de la Grande nymphe et le plaisir qui ne peut plus être contenu…Il est comment, ce metteur en scène ?

-Visage poupin, lunettes à monture écaille, pas mal de kilos en trop et adepte des t-shirts informes ; mais sinon, adroit, exigeant dans sa direction d’acteur…

-Et logique dans ta façon de te déstabiliser. Insistant, même. Que tu aies pu être cette créature archaïque, ignorant des codes de ce monde, ça doit déjà le stupéfier. Et même s’il s’habille mal et mange trop, il doit ressentir le même l’effroi que les nymphes ! Ces élans du désir et la musique de Debussy. Tu es le Faune et tu les as fascinés, lui-compris.  Note que pour les nymphes et ce Mills, j’extrapole…

-Pas tant que ça…

-Tu lui as donné ce qu’il cherchait. Tu sais éblouir, je le sais.

Erik tenta de rire mais n’y parvint pas. Il avait ébloui Julian et continuait de le faire, il le savait ; et ceci malgré leurs liaisons respectives.

-Nijinsky me hante. Je pense à lui tout le temps.

-C’est logique. Je te connais. Tu es totalement impliqué.

-Mais c’est extrême, là !

-Sa fille aînée va venir, c’est aussi bien.

Le danseur soupira.

-Tu as raison.

-Bien sûr que j’ai raison. Je te connais comme artiste. Je sais qu’aborder un rôle est souvent difficile pour toi ; c’est un nouveau défi et les règles changent toujours. Le doute te rend meilleur : crois-en mon expérience…Mais sinon, que veux-tu me dire ?

-Eh bien, c’est au sujet des écoles supérieures de dessin à New York, je veux dire, les meilleures ; La jeune femme que je connais aimerait en tenter une. Elle est déjà diplômée mais elle souhaiterait poursuivre son cursus. Je pensais que tu serais à même de lui donner des conseils. Si tu as ces dessins par exemple…

-Elle n’a qu’à m’envoyer ce qu’elle veut mais il faut qu’elle m’informe sur ce qu’elle a déjà. Je saurais lui dire s’il a ses chances pour l’école la plus réputée car c’est bien celle-là qu’elle vise…

-Oui, je vais le lui dire.

-Elle a l’argent qu’il faut ?

-Non, elle demanderait une bourse.

-Bien, Erik, je verrai cela. Par ailleurs, c’est bien si tu écris sur ce tu vis sur ce tournage et ce que tu captes de Nijinsky. Et ne me l’envoie pas forcément. Je lirai plus tard. N’envoie rien dans la précipitation.

Erik était ému.

-Merci, Julian.

-C’est naturel.

-Et ton ami acteur ?

-Sur scène bientôt. Il répète.

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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
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