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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 3. Niels et Anna, sa mère. Retrouvailles.

 

Niels va en France et s'arrête à Paris pour voir sa mère et sa soeur. Dures retrouvailles

Dans l'avion, le danseur tenta de se composer un visage. Il devrait voir Anna, sa mère, dès son arrivée. Elle était avec Maya, sa sœur. Il ne les avait pas vues depuis des années. Anna logeait toujours dans le petit appartement que lui avaient laissé ses parents. Elle l'avait aménagé à son goût et bien que de dimensions modestes, il était agréable. Elle n'avait pas eu le front de refuser à ce fils qu'elle n'avait pas vu depuis si longtemps de passer une nuit chez elle et elle avait fait les aménagements nécessaires. Fatigué par son long voyage et tourmenté par sa rencontre à venir avec Irène, Niels arriva un peu confus. Il le resta. Sa mère l'avait fait partir chez son amie Monica, à Cannes, quand il avait seize ans et depuis ils ne s'étaient rencontrés que de loin en loin. Deux ans, c'était long, Niels le comprit car il eut beaucoup de mal à entrer en contact avec sa mère. Pourtant, elle était guérie, travaillait dans un commerce et avait un ami qu'elle voyait régulièrement.

-Tu ne voulais pas rester à Londres ?

-Non, je te l'avais dit, maman...

-Ah oui, New York ! Mais tu n'y es plus !

-Je suis à San Francisco.

-C'est tout ce que je sais, oui, en effet...

-Mais non !

-Tu danses avec des copains...

-Non, c'est une compagnie.

-Ne t'irrite pas ! Une compagnie. Et tu as quelqu'un c'est ça. Un homme. Autant te dire...

-Oui, je sais.

-Bon, c'est la mode.

Elle semblait avoir oublié le Danemark, Copenhague et Thüre ! Elle n'avait plus de regrets car elle avait peu de mémoire.

-Les gens comme vous peuvent se marier maintenant.

-Rien de positif alors ?

Elle était décourageante.

-Ah mais si ! Tu le plus réussi de la famille ! Tu es beau ! Je ne dirais pas que ça me surprend car ton père n'était pas mal du tout et moi j'ai pu être jolie mais chez toi tout est très harmonieux. Ton ami, tu l'avais déjà la dernière fois. Un écrivain, c'est ça...

-Oui.

-Il vend bien ses livres ?

-Très bien. C'est un esthète...

-Il a de quoi regarder...

 

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 3. Niels et Maya.

 

En France, à Paris, Niels retrouve sa soeur qui n'est guère tendre avec lui.

Le cœur de Niels se serrait. Quand il était enfant, sa mère l'avait protégé et défendu. Elle avait insisté pour qu'il fasse de la danse. Et maintenant ? Elle le gênait presque. Maya, sa sœur avec qui il avait très peu de liens, fut plus ouverte. Elle s'était mariée, avait deux enfants et travaillait à Copenhague. Elle était la seule à être retournée au Danemark dont elle ne semblait pas vouloir partir. Elle-aussi faisait du commerce. Elle gérait une parfumerie.

-Maman ? Ah qu'est ce que tu veux, elle était à Paris malade et tu lui en faisais voir. Quoiqu'elle en dise, elle aurait voulu qu'après Cannes, tu restes un peu avec elle mais tu ne l'as jamais fait. Tu as couru partout. Tu lui donnais un jour ou deux de temps à autre. Tu l'aimes à ta façon mais elle pense qu'au fond, elle ne t'intéresse pas. Et je pense que c'est vrai. Je la fais venir au Danemark. Elle voit ses petits enfants. Mon mari l'aime bien. Désolée Niels mais tu es à part. Si beau, si racé, si au dessus de tout. J'ai vu une photo de cet écrivain avec lequel tu es. Une interview. Une note en bas de page indiquait le danseur avec lequel il vivait. Haute opinion de lui-même, ce monsieur là...

Malgré cette charge, Maya fut plutôt chaleureuse, arrondissant les angles et permettant à la mère et au fils de se parler un peu. Elle faisait circuler des photos, ils se remettaient tous à parler danois et arrivaient à rire. Mais le fait que le contact était ténu. Niels fut assez content de partir.

 

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 3. Cannes. Revoir Monica et Anaïs.

 

 

Niels va à Cannes retrouver Monica, la femme qui l'a aidé et Anaïs, qui prenait des cours de danse. L'idée est de comprendre ce qui a pu se passer avec Irène Diavelli.

A Cannes, il avait rendez-vous avec Monica et avec Anaïs, la ballerine de l'Académie Fontana rosa. Monica, qu'il avait un peu délaissée, fut drôle et chaleureuse. Elle avait déménagé, acheté une grande maison et y louait des chambres. Elle y préparait même des repas. De temps en temps, elle jouait encore dans quelques cabarets mais elle préférait en fait écrire de courtes histoires drôles qu'elle publiait à compte d'auteur. Avec Niels, elle fut directe :

-Tu as vu ta mère ?

-Assez froide.

-Ce mariage qu'elle a eu...Elle vous aimait mais la mort violente de ton père et sa maladie... Elle se protège. Et tu dois lui faire peur aussi : si artiste, si romantique...Elle ne sait pas quoi faire avec toi.

-J'ai remarqué.

-Tu es très absolu, Niels, ce n'est pas toujours facile de l'accepter.

Elle voulait qu'il raconte. Il choisit l'axe. De ce qu'il vivait en Amérique, il ne dit que ce Monica était à même d'entendre.

-Une compagnie de danse contemporaine ! Bien, ça !

-On était quatre garçons au départ. On est huit maintenant.

-Des filles ?

-Des danseuses.

-Et un ami ?

-Oui.

-Une relation stable.

-Oui.

Ils déambulèrent dans Cannes et revirent l'Académie Fontana rosa. Sa façade en était modifiée. Elle était devenue moderne.

-Plus personne de ceux que tu connaissais ne travaille là.

-Ah ?

-Autres temps, autres mœurs...

-C'est surtout un centre chorégraphique maintenant. Un lieu pour les festivals de danse.

Pas grand chose à quoi se raccrocher. Restaient les rencontres. Après Monica, il vit Anaïs. Elle venait de quitter les ballets de Monte Carlo où elle avait été heureuse. Cependant elle voulait se marier, avoir un ou deux enfants et une vie stable. Elle avait le tout, dirigeant une école de danse et s'occupant de sa première née. A une terrasse cannoise, elle fut exubérante.

-Raphaël ! Raphaël ! Tu faisais tourner les têtes, toi ! La mienne en tout cas mais pas seulement. Mais rien, rien. Tu avais l'air ailleurs.

-Mais je te trouvais jolie...

-Et cette pianiste qui s'était entichée de toi ! Incroyable ! On en était gênés...Comment elle te regardait...

-Elle était admirative. C'était réciproque. Mais tout cela est loin !

-Tu es partie et elle s'est volatilisée ! Talentueuse mais instable, non ?

-Oui mais fière. Et toujours une grande pianiste.

-Je te l'accorde. De toute façon, je ne sais plus rien d'elle. Et toi Raphaël ? Ça me fait plaisir d'employer ce prénom qui était le tien au départ. On ne doit pas souvent t'appeler comme ça en Amérique. Imprononçable !

-C'est vrai, on m'appelle toujours Niels là-bas.

Ils rirent. Anaïs était restée solide. Ses années sur le Rocher avaient été précieuses car tout en travaillant dur, elle s'était amusée. Douée et jolie comme elle était, Niels était certain que son école ne désemplirait pas.

Restait le plus dur : aller à Cotignac. Mais avant cela, il fallait contenter Daniel.

-Avec ta mère ?

-Laborieux.

-Oh ça peut s'arranger, je peux être adroit par moments...

-Non, Daniel !

-Tu me dis non ! Bon les deux autres ?

-Charmantes.

-Oui, moins centrales dans ta vie.

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 3. Retrouver madame Diavelli.

 

Niels veut en avoir le coeur net : cette Irène Diavelli qu'il a maudite lui voulait-elle vraiment du mal ? Face à elle, il va savoir.

Je vais voir madame Diavelli. Ne fais rien à distance, je t'en prie...Daniel, tu m'entends, je t'en supplie. Tu lui as fait peur déjà, ne t'immisce pas...

-Que tu es insistant, jeune danseur...

-Elle ne mérite plus que tu t'acharnes. Daniel !

-Oui, Niels. J'entends ce que tu me dis. Aie confiance !

Comme toujours avec Webster, il y avait de quoi être perplexe mais Niels eut l'intuition qu'une sorte de trêve serait respectée. Confiant, il confirma son arrivée. Irène au téléphone avait une voix pleine de retenue. Peu après son entrevue terrifiante avec Daniel Webster, elle avait été plus claire avec Martine Sauveterre.  Ce comas brutal, Niels le danseur, une vie perdue et une vie redonnée...Elle ne pouvait faire plus. Aux limites de la science, le récit d'Irène risquait de devenir irrationnel si elle disait tout. Elle lui garda une certaine cohérence et fut elliptique. Si elle ne l'avait pas été, il n'est pas certain que le danseur ait pu se trouver face à elle. Or, il arrivait.

On lui annonça sa venue et Martine le conduisit à ses appartements. Les cheveux gris, vêtue d'une robe mauve, Irène affichait une soixantaine confiante et souriait discrètement. Elle portait des bijoux, avait posé une partition sur le piano et préparé une collation. Il fallait qu'elle soit calme. Niels en entrant, s'arrêta un instant. Elle le regarda avec émerveillement :

-Il y a si longtemps ! L'adolescent de l'Académie Fontana rosa...Seigneur, que vous êtes devenu beau ! Une certaine mélancolie dans le regard mais c'est ainsi. Vous gagnez en profondeur...

Il restait sans voie, très ému. Il lui tendit un grand bouquet de roses qu'elle alla placer dans un vase puis, lui indiquant un siège, elle alla chercher dans un classeur une vieille coupure de presse faisant état d'un crash aérien sur la ligne Londres Boston. Un certain Niels Lindhardt y était mort...

-Vous voyez il y a bien le jour et l'heure. Et le document, c'est la liste des passagers.

-Vous avez aussi la liste de ceux qui ont pris un vol Londres New York qui lui, est arrivé à bon port.

-Bien sûr, je sais que vous étiez dans cet avion.

-Il n'y a rien que vous puissiez vous reprocher.

-Vous savez bien que si, Niels, vous avez eu ma lettre. Quel rêve fou !

-Peut-être qu'il n'était pas si fou...J'avais ma propre vie, mes désirs qui partaient dans tous les sens, mon ambition. Je voulais éblouir...

-Et comme vous travaillez pour une petite compagnie maintenant, vous pensez ne plus le faire. Moi, je pense que si. Souvent, dans votre vie, ça n'a pas été simple, déjà cet exil à Cannes. Mais votre santé qui s'est dégradée, l'obligation que vous avez eu de vous soigner, cette mise à l'écart...Tout cela peut nourrir un beau travail de danseur et de chorégraphe.

-Ce que je voulais, c'était un vrai envol !

-Et vous pensez ne pas vous être envolé ? Vous savez avant de vous rencontrer j'ai beaucoup rêvé d'un immense oiseau qui traversait le ciel. Je le voyais sans cesse en rêve et il était si magnifique ! Vous avez pris votre envol, Niels, cela est certain. Pensez à ces oiseaux migrateurs qui en supportent tant et arrivent dans des terres d'accueil si lointaines ! Ils souffrent, s'épuisent mais ils y parviennent...Ils restent parfois si longtemps sans se poser et s'ils le font, ils ont la force de reprendre leur envol.

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 3. J'aime ce que je fais mais rêve d'un vrai envol...

 

 

Ce vertige qu'elle a eu, il faut bien qu'Irène en parle au jeune Niels qui a retrouvé sa trace. Tous deux doivent s'apaiser

Elle servit le thé et de nouveau le regarda. Quand il avait vu pareil ange, Webster n'avait qu'une hâte : fondre sur lui. Elle le comprenait. On ne pouvait que désirer l'atteindre ce Niels à la fois si démuni et si fort...

-Ainsi donc, ce n'est pas fini. J'aime ce que je fais mais je rêve d'un vrai envol...

-Ce n'est pas fini, non...

Elle ne voulait pas en dire trop et lui-aussi cherchait ses mots. Elle lui donna si elle pouvait jouer quelque chose pour lui et il choisit Satie. Les Gymnopédies, les Gnossiennes, les Morceaux en forme de poire...Elle avait gardé tout son art. Niels, la tête dans ses mains, écoutait subjugué. Il voulut ensuite les Ballades de Chopin et resta émerveillé. Elle avait raison. L'Envol. Qui était désormais Irène Diavelli sinon la pensionnaire d'une institution pour personnes fragiles. Elle menait une vie réglée, avait vieilli mais dans une salle de spectacle parisienne, on se serait inclinée devant son jeu. A New York et à San Francisco, on aurait fait de même. Elle avait retrouvé ce feu des grands interprètes, ce feu qu'elle avait cru perdu. Elle ne semblait même pas le savoir...Quand elle cessa de jouer, il se leva et applaudit follement. Il savait déjà qu'il allait passer une limite et désobéir à Webster.

-Vous êtes sûre que je reste dîner !

-Certaine, Raphaël. Il y a de quoi vous loger aussi...

-Vous feriez cela ?

-Oh allons, il y a des chambres pour les visiteurs. L'été arrive. Il fait trop chaud. Elles sont peu occupées.

-Eh bien...

Tournant dans la pièce, il trouva sur un guéridon, les deux romans de Daniel.

-Vous les avez lus ?

-Bien sûr.

-Alors, vous savez...

-Je sais. Inutile de me dire que vous aimez le Diable, Niels...

-Inutile en effet.

Il lui offrit un beau sourire.

-C'est un bon écrivain.

Ouvrant un des livres, il trouva l'invite de Daniel.

-Madame Diavelli, Irène....

-Oui, c'était difficile mais ça ne fait rien. Qu'est-ce que ça pourrait faire ? J'ai passé du temps dans les limbes. Il resterait le paradis. Serait-ce si mal ?

N'aurait-elle pas dit cela qu'il aurait renoncé à elle mais ces mots elle les avait prononcés...Il sut alors qu'il ne partirait pas tout de suite....

 

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 3. Vous pensez à l'envol?

 

En France, Niels retrouve Irène Diavelli apaisée. Lui-même se sent différent. Il veut changer de vie mais aux USA, Webster attend...

Elle proposa un tour de parc puis joua encore pour lui. Ils dînèrent avec d'autres dans une belle salle tendue de jaune. Au soir, voyant que deux messages de Webster l'attendaient déjà, il éteignit son portable et durant les deux jours qui suivirent, il ne le ralluma pas. Ce serait la guerre, il le savait mais il voulait être avec elle. Il avait loué une voiture pour venir la voir et il l'emmena en excursion. Elle se fatiguait vite et il devait prendre soin d'elle. Il aimait le faire. Chez elle, il parlait musique, danse, Provence, fleurs...Ils oubliaient leurs passés difficiles. Il aimerait créer tel ou tel ballet, elle lui suggérait un accompagnement musical. Fonçant les sourcils, il voulait en savoir plus. Elle-aussi.

-Il restera de belles photos de votre passage, Raphaël !

-Je les aime beaucoup aussi.

Ils se parlaient beaucoup. Elle sentait tout. Elle savait l'attention du danseur, la noblesse des poses, la rigueur. Elle savait ce qu'exige la musique...

-Vous allez rester aux États-Unis ?

-Je me suis habitué à y vivre. Mais peut-être que je devrais me mettre en retrait, voir ce que je vais faire...Il y a des déserts, des montagnes...

-Oui, peut-être...Vous pensez à l'Envol ?

-Oui, madame Diavelli.

-Irène.

-Irène.

Quand ils se dirent au revoir, ils étaient en paix. Il était intact et intègre et le savait.

-Vous ne ferez pas attention aux hurlements ?

-Non, Irène.

-Je ferai de même Niels. Merci pour ces trois merveilleuses journées.

Niels reprit sa voiture et ouvrit son portable. Il y avait vingt messages de Daniel. Ne se souciant pas de l'heure, il l'appela à New York.

-Je te tue ! Hurla l'écrivain. Et elle ! Elle !

-Je rentre à San Francisco.

-Moi-aussi. Nous allons nous battre.

-Oui. Oui, je sais bien...

 

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4.

 

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QUATRIEME PARTIE 

L'ENVOL

 

 

Un jour, Niels choisit le désert puis le précipice.

Il s'envole et renaîtra plus tard...

 

 

 

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4. Niels se met à l'écart.

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De retour en Amérique, Niels essuya les foudres d'un amant implacable. Il surprit celui-ci en restant détaché. Il avait réfléchi, devait prendre du champ et voulait partir dans les montagnes. Il négocia son retrait de cette petite troupe à laquelle il était pourtant très attachée et laissa son appartement à Daniel, l'assurant qu'il partait plusieurs mois mais donnerait des nouvelles. Celui-ci médusé fit tout ce qu'il pouvait pour le retenir. Irène, dans le Var, n'était plus une adversaire, il le savait. Alors, quoi ? Mais Niels n'avait rien à dire. Il appréciait à sa juste valeur l'amour que lui portait Webster mais il était appelé ailleurs. Il n'avait rien à dire de plus...

 

Il fut absent onze mois. Dans les montagnes et dans de petites villes de l'ouest, il mena une vie errante mais assez structurée. Il faisait des pauses, travaillait comme il pouvait, acceptant à peu près tout, des travaux agricoles aux emplois en usine ou dans le commerce. Au bout de quelques temps, il repartait. Il était abordable, riait facilement et se montrait curieux de tout, se présentant comme un Européen ayant besoin de prendre du recul qui aimait la nature américaine. Téléphonant régulièrement à Webster au début, il le régala de diverses feuilles de route, n'ignorant pas le fait que cet homme sombre était privé de lui et en souffrait. Puis sa route devint confuse. Il se cantonna dans les montagnes, là où communiquer était difficile. Daniel en fut pour ses frais. Le danseur, quelques randonneurs se souvinrent de l'avoir croisé, silhouette blonde et sportive à l'air pensif, puis plus personne ne le signala. Sa sœur et sa sœur prévenues commencèrent à lancer des recherches et Daniel, horriblement malheureux, le fit aussi. Elles furent vaines.

 

Septembre finissait et dans les montagnes, le temps était encore beau même si les nuits fraîchissaient. Niels était devenu totalement solitaire. Quand décida t'il de faire le grand saut ? Nul ne le sait mais, profitant d'un ciel nocturne particulièrement clair et étoilé, il se mit à danser dans une nature sauvage et silencieuse. Obéissant à une musique intérieure, il inventait peu à peu une chorégraphie harmonieuse que nul spectateur ne pouvait contempler. Il n'était pas loin d'un précipice et le savait mais c'était une nuit magique pour lui où il se sentait aérien.

 

4 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4. Irène et Daniel après la disparition de Niels.

 

Croyant l'avoir perdu pour toujours, Webster fit une longue dépression dont il sortit épuisé. Il se remit tout de même à écrire et resta à Brooklyn dans ce même appartement qui contribuait désormais à construire son imagerie personnelle. Il était souvent interviewé et pris en photo, affichant sa provocante solitude. Le cinéma lui demandant un travail d'équipe, il finit par s'en écarter. Peu de gens autour de lui ayant connu Niels, il cessa d'en parler à quiconque. Mais il chercha son double dans des étreintes passagères qu'il tenait secrètes.

Irène resta dans le Var où, vivant une existence de recluse, elle accepta de donner de temps en temps des concerts qui restèrent dans les mémoires. Très paisible, elle était aimée de son entourage et des siens qui venaient la voir. Elle avait fait encadrer les photos de leur rencontre à Cotignac et les gardait sur son bureau, à côté d'un grand bouquet de fleurs. Elle ne doutait jamais qu'il était vivant.

Dans le temps même où Irène, en France, trouvait les chemins de la guérison, Daniel Webster continuait de tracer sa route comme écrivain. Sean Forsythe, le privé qui était au centre de ses deux derniers romans, en était la preuve. La quarantaine bien portée, Sean gérait des affaires délicates, de celles qu'on accepte difficilement car les grosses sommes promises par ceux qui veulent vous les confier ne vous arrivent qu'en cas de réussite...

3 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4. La Solitaire. Daniel écrit.

 

 

La Solitaire était le portrait d'une jeune fille disparue que sa puissante familiale ne parvenait pas à retrouver à New York...Parents antipathiques, frère aux penchants incestueux, fiancé ambivalent qui préférait les aventures masculines, amie d'enfance toxicomane et tordue, oncle avocat qui gérait des affaires louches, tout concourrait à dresser de l'environnement de la jeune fille un portrait inquiétant. Situé juste avant la mort du président Kennedy, l'histoire était riche en références historiques. En pleine guerre froide, au moment où Usa et URSS étaient en compétition pour la conquête de l'espace, Cuba était en crise. Ann, l'héroïne du roman, s'était enfuie en Floride avec un Cubain. Il fallait que Forsythe essuie bien des déboires avant d'arriver à ses fins mais il finissait par remettre la jeune fille à sa famille. Curieuse fin qui le laissait plus désabusé encore qu'il ne l'était au départ. A la fois athlétique et cérébral, Sean était un solitaire lettré et à sa manière un esthète qui, même s'il courait vite et tirait bien et même s'il savait se battre, privilégiait l'amitié masculine et collectionnait discrètement des esquisses de nus masculins. Il était clair que, même si elle ne l'était pas de manière frontale, l'homosexualité était très présente dans le texte. Par ses attitudes, par ses remarques fortuites, Forsythe subissait les conventions de l'époque et devait protéger son image mais on voyait bien qu'au fond il était libre. A l'habitude, les détectives qui sont en première ligne dans les romans sont des gens mariés dont la vie privée reste discrète, des nostalgiques qui pleurent leurs amours perdues ou des solitaires qui, de temps en temps, ont droit à une aventure. Sensuel, charnel même, Sean Forsythe vivait peut-être seul mais il avait des amants épisodiques qu'il voyait dans l'ombre. C'était un hédoniste et, dominé par un tel personnage, le roman était riche en ambiguïté. Écrit avec une grande habileté, il troublait.

 

3 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4. L'homme qui aimait les narcisses.

 

Dans L'homme qui aimait les narcisses, c'était un homme d'une soixantaine d'années, universitaire à la retraite, qui disparaissait. Il avait pourtant une femme, deux grandes filles, une superbe maison perdue dans le Vermont et une bibliothèque pleine d'éditions rares. Il faisait du latin chaque jour, montait à cheval et s'occupait de fleurs. Il avait un très beau jardin, prolongé par une serre et adorait les narcisses. Il fallait des mois et des mois à Forsythe pour réussir à le retrouver. Sous une fausse identité, il vivait au Mexique en compagnie d'un très jeune homme qui lui servait officiellement de domestique. Cette fois, c'était l'Amérique des années soixante-dix qui servait de décor. Michael Epton, intellectuel austère et peu bavard, avait fait tout ce que son pays et ses parents lui demandaient avant de faire tout ce que sa femme et ses enfants voulaient. Une nuit, il avait décidé de ne plus être ainsi fossilisé. Il avait mûri un plan qui lui permettrait de volatiliser sans laisser de traces. Il avait réussi à changer d'identité, à déplacer pas mal d'argent d'un pays à un autre et à brouiller toutes les pistes. Même physiquement, il était méconnaissable...Au bout de plusieurs mois de recherches vaines, Sean avait dû affronter la colère de sa famille. On allait s'adresser à quelqu'un d'autre car l'argent filait quand il était entré en possession d'un carnet intime que la femme d'Epton s'était décidé à lui convier. Jeune homme, il était allé en France comme soldat. Ce qu'il avait vu et fait en Normandie l'avait horrifié et , à ce titre, ses carnets étaient un excellent témoignage qui aurait fait honneur à une revue historique. Mais ce n'était pas cet aspect qui retint l'attention de Forsythe. Epton, encore très jeune, avait été très ami avec un jeune soldat qui avait fini par mourir dans le Maryland, des suites de ses blessures. Il n'était pas très difficile de lire entre les lignes. Ce n'était pas une amitié mais un amour qui avait uni les deux jeunes gens mais on n'était en 1944 et aucun des deux n'était à même de transformer leur relation. En faisant des recherches autour de ce soldat blessé, Sean découvrit qu'il avait une mère mexicaine, certes née aux États-Unis d'une famille bien intégrée mais mexicaine tout de même...A partir de là, il sut mieux orienter ses recherches. Les scènes où il retrouvait Michael Epton et cherchait à le ramener à sa famille étaient très prenantes. Comme dans le roman précédent, voir le terme d'une enquête apportait certes la satisfaction mais déstabilisait aussi. Tant de mensonges et de renoncements...Forsythe en restait ébranlé mais il savait quoi faire. Lire les livres qu'il fallait, acquérir de nouveaux dessins et chercher de jeunes amants...

 

3 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4. Webster désormais célèbre.

 

 

Niels a disparu et Webster continue sa vie solitaire. Ses romans sont admirés et il est désormais célèbre...

Ses succès de librairie l'amenaient à se montrer pour des signatures, des conférences et des séminaires d'écrivain. Il s'était même fait entendre sur plusieurs chaînes de radio et de télévision...Solitaire, acharné au travail, Daniel se doutait bien que s'il laissait s'épancher sa misanthropie en public, il risquait de décevoir. Il s'obligeait donc à paraître en public, sans pour autant être très abordable. Célibataire endurci, il avait des aventures sans suite avec de jeunes hommes qui ignoraient tout de lui et d'autres, plus rares, avec de jeunes auteurs qui le courtisaient. Avec ces derniers, il évitait de se montrer sous son vrai jour, craignant les commérages. Seules ses rencontres de l'ombre connaissaient ses bizarreries et souvent sa noirceur. Au fond, il n'avait jamais fait le deuil de cette année bizarre passée à « soigner » Niels et même si les relations qu'il avait avec le danseur s'étaient distendues jusqu'à disparaître, il continuait de lui vouer un culte. Les manières brutales qu'il pouvait avoir avec un amant épisodique n'étaient que le corollaire des rituels que des années auparavant il avait imposé au jeune danseur dans son appartement...

 

3 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4. Une réapparition inexplicable.

 

Si on voulait s'emparer de moi encore, je m'envolerais. Pourquoi ne le ferais-je pas? Il me suffirait d'un instant pour me dérober et d'un autre pour réapparaître. Et aussitôt, je danserais...

3 octobre 2024

La Nuit de L'Envol. Partie 4. Niels s'envole, solitaire.

 

Au bord d'un escarpement rocheux, il ne vit qu'un grand vide où, se livrant à un incroyable saut, il se jeta. Sa chute lui parut très graduelle et en effet, il chuta lentement dans le vide avant de remonter brusquement pour gagner les étoiles. D'apparence, elles étaient effrayantes au départ puis de plus en plus belles...Aucune raison d'avoir peur ni froid et toutes de sentir à quel point le bonheur était là...

C'était la Nuit de l'Envol.

On ne trouva jamais de trace de chute à cet endroit, où s'il y en eut, on ne put faire le rapprochement avec la disparition dans les montagnes d'une jeune Européen exalté.

Pourtant, un jeune homme blond qui lui ressemblait de façon frappante fut aperçu le lendemain à Cannes où, visitant les vieux quartiers de la ville, il cherchait une académie de danse au nom de fleur. Personne ne se soucia de lui, qui d'ailleurs, ne faisait que passer. Dans le même temps, ce même promeneur anonyme prenait des photos sur le port de Copenhague, achetait un billet pour un spectacle de Covent garden à Londres, se promenait le long des quais de la Seine un livre à la main ou roulait dans une décapotable rouge sur le Golden gate à San Francisco. A Brooklyn, il cherchait un cinéma qui passait des films américains des années cinquante et en même temps, dans la montagne, son sac à dos posé à terre, il parlait avec un ranger. L'instant d'après, il prenait une douche dans un hôtel du Var, ayant choisi une petite ville où l'agitation de la Côte n'arrivait pas. On le retrouvait à Cotignac auprès d'une femme bien plus âgée que lui, à qui il parlait avec déférence puis dans le lit d'un New-yorkais qu'il respectait. L'un et l'autre l'aimaient et il le savait.

Et pour finir, il se préparait dans une loge où bientôt on viendrait lui rappeler qu'il devait monter sur scène. Il était paré comme un prince et son corps entraîné se préparait à l'exception...Ce serait un triomphe ...

 

30 juin 2024

France ELLE

 

 

 

 

ERIK N / LE DANSEUR

 

 

ROMAN

 

 

 

 

 

30 juin 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 1.

 

 

Ephémère, immortelle, versatile, la danse est le seul art qui,  ne laissant aucun déchet sur la terre, hante certaines mémoires de souvenirs délicieux.

Jean Babilée

30 juin 2024

Erik N/ Le danseur.

 

 

Né à Copenhague au début des années soixante, Erik Anderson (qui doit, dans le roman, son nom à Erik Bruhn) grandit dans une famille aimante que la danse classique ne concerne pas. Malgré cela, très jeune, il veut devenir danseur classique.  La figure de Nijinsky s'impose à lui très vite. Danseur, Erik le devient. Il captive. Sans cesse, la référence à la vie, aux rôles et aux chorégraphies du grand danseur russe reviennent dans sa vie, tandis qu'il se bat pour construire sa carrière, et aimer sans se faire dévorer. Erik N/ Le Danseur est un hommage à la danse, à ses interprètes et à ses suiveurs. Et bien sûr un hommage à celui qui fit la gloire des Ballets russes.

26 juin 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 1.

 

 

PARTIE 1

 

ENFANCE ET IDOLE

 

 

 

 

26 juin 2024

Erik N/ Partie 1. Quelques mots.

 

 

Erik, enfant né d'une mère française et d'un père danois, passe son enfance à Copenhague. Dernier né, il a trois sœurs. Rêveur et pas toujours docile, Erik rêve très vite de danse classique. Sa famille, surprise par ce choix, s'y oppose avant de céder au désir du petit garçon.  D'où vient cette passion qui transforme Erik? D'une excursion à Skägen, la ville de naissance de son père, et du spectacle fascinant que la mer y offre? Ou d'une émission qu'il a vue enfant, et qui évoquait Vaslav Nijinsky ? Le fait est que le danseur russe, qui a depuis longtemps cessé de danser quand Erik prend sa décision, est fortement évoqué par ses différents professeurs. Danseur beau et doué, quitte l'enfance pour l'adolescence mais reste fasciné. Une période de turbulences amoureuses et professionnelles s'ouvre. Le danseur, par sa grâce et sa jeunesse, suscite l'enthousiasme...

26 juin 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 1.

 

 

J'ai compris que mon amour

 était blanc et pas rouge

 

Vaslav Nijinsky

Cahiers

26 juin 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 1. Erik et l'enfance. Premiers pas dans la vie.

 

1. Erik, l'enfant de Copenhague.

A Copenhague, le petit Erik, né d'un danois et d'une française, grandit parmi ses sœurs. Très vite, la danse l'attire.

De Copenhague, quand il était tout petit, Erik se souvenait mal. Il ne lui restait que des images factices, comme celles qu'on voit dans les catalogues de voyage. Des images qui servent à se dire qu’on doit vraiment visiter un endroit aussi beau ! Il se souvenait des rues dédiées aux touristes et des autres, plus confidentielles ; il se souvenait aussi de l'hiver omniprésent, des façades hautaines des quartiers chics, des parcs et des magasins pleins de lumière pendant la période de Noël. Copenhague, c'était une ville nordique, froide, lointaine, d'après certains, mais lui, il en avait aimé les belles maisons colorées, les immeubles élégants, les parcs, le beau château et les marques de la monarchie. C'était la ville de son enfance et il lui restait attaché.

Jusque l'âge de cinq ans, il avait habité le quartier de Frederisberg et il s’y était senti chez lui. Toutefois, les rues de son enfance n’intéressaient que ceux qui y vivaient car les touristes et les curieux ne s’y aventuraient pas, préférant la partie la plus prestigieuse de ce quartier. Il se souvenait de l’appartement où sa famille et lui avaient vécu. Il savait qu'il y avait là un plancher si rustique qu'on le dissuadait de marcher pieds nus. Il savait que les fenêtres de l'appartement étaient hautes, qu'elles donnaient sur une place où il y avait un temple protestant. Il se souvenait de la lumière plus grise que jaune qui illuminait la place, de la façade un peu laide du temple et des découpures que faisait la neige sur les vitres. Mais il savait aussi, tout petit déjà, qu’il y avait beaucoup de chaleur et de gaîté entre ces murs et qu’il habitait un lieu joliment décoré de tableaux, de tentures et de meubles choisis, un lieu où vivait une famille soudée.

Ses parents étaient très occupés parce qu’ils avaient chacun un métier d’une part et quatre enfants de l’autre. Il avait trois sœurs très blondes avec lesquelles il ne jouait pas toujours mais qu’il aimait tendrement. D’emblée, il s’était senti différent d’elles, non parce qu’il n’avait pas vraiment les mêmes jeux mais parce qu’il voulait ce qu’elles voulaient, elles. Sauter sur les lits, se laisser retomber brusquement sur les couettes épaisses, se dire des secrets et préparer une nouvelle bataille d'oreillers, ça le concernait et ça le faisait rire ; se maquiller avec les produits volés à la mère ou d’élaborer des coiffures originales, ça ne pouvait pas l'intéresser mais ça l’amusait beaucoup et le rendait complice de ses sœurs, même si ce n’était pas des trucs de garçon. Avec Kirsten, sa plus grande sœur, il jouait à la maîtresse d'école. Il en était, lui, l'élève distrait mais quand même doué qui fait croire à tout le monde qu'il ne sait rien alors qu'il apprend en cachette. Avec ses autres sœurs, il était souvent le petit voleur, l'étranger pris par surprise. Il fallait toujours s'emparer de lui, le gronder et lui faire la leçon. Ensuite, tout allait mieux car il suivait le droit chemin. Ces jeux- là, il les aimait bien mais il en avait d'autres, solitaires. Il aimait se tenir très droit puis tourner sur lui-même, courir très vite et s'arrêter avec netteté, faire des bonds qu'il voulait toujours plus parfaits comme si la hauteur était bon signe. Et alors, il se sentait heureux.

26 juin 2024

Erik N / Le Danseur. Partie 1. Erik, l'enfant de Copenhague.

 

Il revoyait l’appartement encore et encore. Il n'était  pas si grand et chacun devait faire attention et préserver l’espace de l’autre. Il n'avait pas oublié cette façon dont les membres de sa famille se trouvaient malgré tout brusquement face à face dans la cuisine, le salon ou le bureau, alors qu'ils voulaient être seuls. Il surgissait toujours quelqu'un et on se regardait avec autant de bienveillance que possible. Seules les chambres offraient un peu plus d'intimité car on finissait par y être seul, sauf le soir où on dormait deux par deux. Celle qu’il partageait avec Marianne avait des murs orangés. Kirsten et Else dormaient dans une chambre blanche. Personne n’allait sans autorisation dans la chambre des parents mais on pouvait se disputer les fauteuils et le canapé, prendre des revues sur la table basse et dîner tous ensemble autour d'une autre table cette fois grande et imposante sans que quiconque y trouve à redire.  Il y avait un vaisselier français, il s'en souvenait et quelques jolis tableaux rapportés de Paris, des nature-morte et c’était tout. Il aimait cet univers. Il était très jeune et souvent content. Il aimait Copenhague, la lumière qui y était grise et dorée à certains moments, le vent, le froid et la neige qui craquait sous les pieds quand il se hasardait dehors. A l'époque du premier appartement, Kirsten avait onze ans, c'était l'aînée. Else avait neuf ans, Marianne, sept. Il était le plus jeune et le seul garçon. Et plus tard quand ils avaient trouvé un logement bien plus vaste et confortable dans le même quartier, il était devenu le seul danseur.

De lui, qui était devenu célèbre, il savait qu'on parlait. Il était « Erik Anderson né en 1960 à Copenhague, Danemark de Claire Louvier et Svend Erikson dont il était le quatrième enfant et le premier fils. Svend possédait plusieurs salons de coiffure à Copenhague.  C’était à l’origine un bon coiffeur mais c’était aussi un homme qui savait gérer, faire des affaires. Il possédait plusieurs salons dans la capitale danoise. Grand, très mince, il n'était pas réellement beau mais il s'habillait avec soin, était soucieux de sa personne et passait pour séduisant. Quand Erik était encore petit, son père n'était encore qu'employé. Les femmes qu'il coiffait étaient sensibles à sa façon d'être. C'était un coiffeur très poli, capable de donner des conseils avisés et surtout très diplomate. Elles l'aimaient pour sa façon de sourire, de froncer les sourcils et pour ses yeux bleus si expressifs. Et naturellement, elles appréciaient sa singularité : cet homme ne cherchait pas à séduire. Courtois avec ses employées, ils ignoraient les regards appuyés des clientes. Celles-ci ne pouvaient croire qu'il refuse leurs avances pour les beaux yeux d'une jolie épouse française dont elles étaient jalouses. Et elles le comprenaient d’autant moins que la fidélité leur paraissait un sentiment d’un autre âge. Qui pouvait bien pouvoir être fidèle ? Mais la réalité était simple : Svend était l'homme d'une seule femme. Être le mari de Claire lui suffisait. La jeune femme, qui ne souhaitait pas vivre en France, était arrivée au Danemark douze ans auparavant. Esthéticienne, elle avait étudié l'art des massages. Les langues ne lui posaient pas de problème. Elle avait appris l'anglais facilement et maîtrisait l’allemand. Ses parents, qui n'étaient pas sans argent, l'avaient souvent envoyé, petite à Londres et à Cologne. Il lui restait le danois. Claire était à la fois terrienne et rêveuse. Elle était tombée amoureuse de Svend et c'était tout. Elle aimait les enfants qu'elle avait de lui, surtout Erik à qui elle vouait un amour particulier, si tenace et si fort que parfois elle en était gênée. Elle n'en parlait pas à son mari car elle n'osait pas. Erik était singulier. Elle l'adorait. Il le savait.

26 juin 2024

Erik N / Le danseur. Partie 1. Erik. Enfance danoise.

 

Les premières années, alors qu'à travers les fenêtres sans rideaux du salon, la lumière entrait parfois avec violence, elle l'avait tenu dans ses bras et l'avait fait danser. Il était tout petit et posait ses yeux dans les siens. Tous les deux les avaient bleus. Sa mère avait des odeurs fraîches, des senteurs de jeune fille. Elle l'aimait follement, son petit garçon. Plus tard, elle avait été plus pudique. Il ne faut dire si fort à un être qui est né de vous la violence de l’amour.

 Elle se racontait beaucoup. Elle disait avoir tout de suite aimé le Danemark et elle riait.

-Moi, quand je suis arrivée à Copenhague, je parlais le français qui est ma langue maternelle et l'anglais, plutôt bien. J'étais toute jeune. J'avais vingt-deux ans, tu sais ! Eh bien, Erik, si tu es amené à vivre dans un pays autre que le tien, je t'assure, ne fais comme moi. Je suis arrivée avec un petit guide linguistique, je l'ai étudié sans plus et j'ai essayé de me contenter de cela. Ah, Erik, ne fais pas ça ! Une fois que les Danois, et ça n'a pas traîné, ont eu repéré que j'étais française et me contentais de peu, ils se sont bien amusés. J'essayais de jongler avec des tableaux comme ceux-ci. Tiens, regarde ! « Je m'appelle, je viens de...J'aime...Je n'aime pas...Je voudrais, je ne voudrais pas...Voudriez-vous…C'est possible de...Je vous remercie...Le Danemark est si différent de la France ! » 

Ils riaient tellement !

-Heureusement que je parlais anglais. J'étais naïve, tu sais. Je me souviens de mon tout premier manuel. Ça donnait ça : « Un arbre vert » se dit… Le livret que j'utilisais disait en substance « Nous espérons que vous avez profité de cette leçon sur les phrases en danois y compris les expressions quotidiennes, les salutations et les phrases utiles. Après avoir terminé de cette page, veuillez consulter notre page principale pour plus de la grammaire et le vocabulaire. N'oubliez pas d'ajouter cette page aux favoris et bon courage pour l'apprentissage du danois ! »

Elle riait et virevoltait. Elle s'amusait d'elle-même :

-Tu imagines, Erik, comment tu places dans une conversation où tu ne comprends quasiment rien : « Jeg laeste en bog tider » ou « han er amerikansk » ? Je t'assure, tu essuies des défaites. Alors, tu mets ton orgueil dans ta poche et tu apprends sérieusement le danois. Tu sais, il fallait que je travaille, de toute façon et j'ai rencontré votre père. J'ai trouvé qu’il était « un ami très gentil, « en megetdejlig ven » et je lui ai vite demandé : « Er du alene ? », « êtes-vous seul ? ». Devine ce qu'il a répondu ?

A cette époque, elle comptait beaucoup pour Erik qui la recherchait avec application, ne sachant trop comment aborder son père. Svend était si différent de Claire ! Il n'avait pas ce mal à aimer ses filles qui ne s'offusquaient pas de sa nature réservée mais avec Erik, il n'en allait pas de même. L'enfant, quand son père s’approchait, se raidissait vite et restait silencieux. Il Svend trouvait sévère et redoutait son jugement. Pour ce père secret, il n'était pas le fils attendu : bagarreur, affirmé, solide. Tous deux s'observaient beaucoup. Claire, mal à l'aise, tentait bien de tempérer leur gêne :

- Allons, Erik, ton papa ne s'exprime pas facilement mais je t'assure qu'il sait rire ! Il ne sait pas trop comment faire avec toi !  Mets-toi à sa place ! Tu lui parles davantage et lui souris souvent et tu verras !

26 juin 2024

Erik N/ Le Danseur. Partie 1. Svend, le père danois.

Svend venait du Jutland et avait grandi à Skägen. C'était la région la plus au nord de Danemark et sa ville de naissance était la plus septentrionale. Dans les années quarante, alors que son enfance se terminait, elle était déjà célèbre pour deux raisons : d'une part, la petite ville, d'assez bel aspect, avait abrité une école picturale de bon renom qui avait, d'ailleurs pris le nom « d'école de Skägen » ; de l'autre, elle offrait de beaux paysages marins. Deux mers s'y rencontraient.  Svend aimait et connaissait la mer et des années après avoir quitté la petite ville de son enfance, il se souvenait d'elle et de l'étrangeté de la lumière dans cette région. Par contre, de son propre aveu, il était resté totalement indifférent, enfant, au fait que des peintres aient jugé bon de s'installer dans son village pour y pratiquer leur art. Ce n'est qu'à l'âge adulte, alors qu'il vivait depuis longtemps à Copenhague, qu'il avait été pris de regret. Il le savait, la grande majorité des peintres de Skägen étaient danois. On trouvait parmi eux Anna et Michael Peter Ancher, Peder Severin Krøyer, Thorvald Niss, Holger Drachmann et d'autres. Il s'était alors intéressé à eux. Soren Kroyer, surtout, avait peint de merveilleux tableaux : cette jeune danoise en longue robe blanche qui, étendue sur une chaise longue, à l'ombre d'un bel arbre en fleurs, semblait plongée dans la rêverie évoquait sa « cousine française » que Renoir avait admirée. Il adorait ce tableau. Il aimait aussi ces enfants avançant dans les eaux conjointes de mer du Nord et de la Baltique, sous le regard attentif de leurs mères vêtues de robes incrustées de dentelle. Ces peintres, il avait bien fallu qu’il s’y intéresse. Erik, après avoir dansé à Copenhague, avait réussi aux Etats-Unis où il illuminait de grandes scènes tout en tournant des films. Si on a un fils qui pratique un art aussi exigeant que la danse classique, qu'il y excelle et qu'il est adulé, il est difficile de paraître inculte. A deux ou trois reprises, des journaux l'avaient interrogé et il avait menti. La vocation d’Erik venait de Skägen. Forcément, ces peintres…

Lui, il avait vécu les choses différemment.  A Skägen, il avait été enfant puis jeune homme et tout ce qu'il pouvait dire était que cette ville n'en était pas une. Elle était trop petite et ennuyeuse. Il connaissait bien le port de pêche appelé à devenir « dynamique » et qui d'ailleurs, l'était devenu. Quant aux plages, oui, il reconnaissait qu'elles étaient belles mais quand on se sent seul, cette beauté-là ne suffit pas ; elle lasse plus qu'elle n'émerveille. Tout jeune, il allait avec son père, à la pointe de Grenen où le conflit des courants de la mer du Nord et de la Baltique attire de nombreux touristes, et les dunes. Les dunes qu'il escaladait n’avaient pas été fixées pour mieux en étudier leur évolution. Elles semblaient mouvantes ceci ajoutait à leur beauté. Mais la situation dans laquelle il se trouvait était difficile. Son père était marin et n'avait pas d'argent. Sa mère faisait de la couture et devait tenir sa maison. Svend avait douze ans quand son père était mort en mer. Ils étaient quatre garçons. Il était parti à Copenhague avec un frère de sa mère tandis que ses frères allaient avec leur mère chez leurs grands-parents maternels. Au bout du compte, tous s'en étaient sortis. Mais c'était peut-être cela, ce village du bout du monde, l'après-guerre, la dureté, qui lui avaient donné de fausses images du village de sa jeunesse. Elles restèrent fixées en lui jusqu’à cette semaine de vacances où sa famille et lui vinrent en villégiature. Pour qui habitait Copenhague et aimait la vie en ville, c'était assurément un beau voyage. Kirsten, la plus grande de ses filles, avait été émerveillée par la Pointe de Grenen. C'est le point de rencontre de la mer du Nord et de la mer Baltique, là où se retrouvent les deux détroits, le Skagerrak et le Cattégat, qui permettent cette réunion entre la Norvège, le Suède et le Danemark. La plage était silencieuse, quasi-déserte. La lumière avait une qualité extraordinaire. Il ne se souvenait plus d'une telle transparence ! Et tout d'un coup saisi par la beauté des lieux que l'émotion de ses enfants lui rendait tangible, il avait enfin compris qu'être témoin de ces retrouvailles permanentes est un privilège dont il faut savoir jouir ! Le bleu, le gris, la lumière mouvante et l'air vibrant...Ému, il avait expliqué à ses quatre enfants que le spectacle à cet endroit est extraordinaire ! La pointe du Danemark s’engouffre littéralement dans la mer changeant chaque fois de forme au gré des courants et des vents. Ils avaient dû marcher une trentaine de minutes et les plus jeunes s'étaient plaints de la longueur du chemin, mais, au bout du compte, le paysage était fascinant. La terre se découvrait au milieu des eaux et semblaient être au même niveau, tandis que les horizons se confondaient. N'avaient-ils pas remarqué à quel point tout cela était extraordinaire ? D’un côté la mer du Nord, de l’autre la Baltique et au bout la rencontre des eaux fracassantes, vagues contre vagues, dans un mouvement sans fin.

26 juin 2024

ErikN/ Le Danseur. Partie 1. Enfance et désirs. Une journée à Skägen.

 

Ça avait été une journée marquante pour tous. Pour Claire car son mari lui avait rarement montré sa région natale, pour les filles qui avaient juré mettre un pied dans la Baltique et un autre dans la mer du Nord en sentant la différence et pour Erik, toujours sensible et lyrique. A sa mère, il avait dit :

-C'est si beau, ici ! On veut à la fois mourir et rester ! Regarde, la mer est grise et parfois, elle est bleu-foncé ! La lumière s'amuse. On ne sait pas où on est.

Cette tirade avait laissé Claire muette et émerveillée. Devant son silence, Erik avait changé d'interlocuteur. A Kirsten, il avait déclaré :

-Tu sais ici, il y a de la Beauté.

Kirsten avait réagi en enfant sage, en sœur aînée :

-Bien sûr, tout le monde trouve ces paysages très beaux !

Il était resté grave.

-Je ne crois pas. Les gens ne veulent pas vivre dans la Beauté. Moi si, même si c'est dur.

Il y avait de quoi être désemparé par les propos d’Erik mais à cette époque, Kirsten en était très proche. Ce que disait son frère avait du sens. Vivre là devait être déroutant, des étés lumineux faisant vite place à des hivers violents. Très vite, il n'y avait plus cette étonnante lumière et ce tournoiement des eaux. Il y avait le froid, la pêche, la vie dure et humble qu’avait connu leur père. Pourtant, c’était splendide.

-Tu crois que tu pourrais rester toujours ici à chercher la Beauté ? Non, tu sais bien, il n’y a que des emplois fatigants et ennuyeux et tu aimes Copenhague.

Il n’avait pas paru déconcerté.

-Non, pas ici !  Mais ailleurs, là où elle est.

 A sa mère qui venait de se joindre à la conversation et disait ne pas comprendre, il avait précisé :

-Les eaux bougent, elles ont l'air de danser. Peut-être que je veux danser ? Je ne sais pas ? Des gens ont déjà dessiné, peint ces eaux-là ? Je pourrais peindre. Je ne sais pas ! Mais pas ici, pas ici ! J’aurai un travail qui permet de chercher de la Beauté, moi.

Claire, ce jour-là, jolie et lumineuse dans son corsaire beige, son pull jaune paille et son grand imper, ses cheveux blonds tombant sur ses épaules, avait paru perplexe.

-Ah oui ?

-Oui, maman !

Svend était ce jour-là, heureux. Un petit gîte, une belle excursion, des repas traditionnels et ces couleurs du Jutland qui, enfin, après tant d'années, lui paraissaient exquises suffisaient à son bonheur ! Quand tous revinrent, seuls Kirsten et Erik ne furent pas frappés d'amnésie. Ils se souvinrent. Le gris, le bleu, danser, la lumière : il avait parlé de cela. La jeune mère rieuse n'oublia pas les fulgurances de son unique petit garçon et du Jutland, il revint déterminé. Il devint plus fort...

C'était la petite enfance d'Erik. Il était le fils de Claire, la française et de Svend, le Danois. Elle ne connaissait que les villes. Il avait été élevé dans un cadre sauvage. Mais à Copenhague, ils étaient bien.

Souvent, il regardait sa mère se maquiller et il ne semblait voir qu'elle. Elle parlait de sa vie car beau comme il l'était, cet enfant qu'elle comprenait mal mais aimait tant, l’incitait à le faire :

-J'ai grandi dans le seizième arrondissement, Erik. C'est un beau quartier.

-Oui, maman. Frederisberg, c’est beau aussi !

-Oui, mais ce n’est pas Paris ! Je m'y suis longuement promenée en famille quand j’étais petite, allant de musées en exposition et d'église en hôtel particulier et puis j'ai grandi !

-Oui, maman.

Elle était en train de poser un trait d'eye-liner sur ses paupières et il ne la quittait pas des yeux :

-Jeune fille, j'ai délaissé mon père qui était universitaire et historien et ma mère qui avait fait son droit et était avocate au barreau de Paris. Leurs amis n'étaient pas très délurés. J'ai voulu vivre Paris autrement. Au caveau de la Huchette, je dansais des nuits entières et chaque jour, je prenais des cours de modern Jazz. J'étais volontaire et douée mais pour mes parents, ça ne conduisait à aucune profession. Ils auraient pu se fâcher mais ils laissaient faire, tu comprends ? Ils ne me critiquaient pas !

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Moi, je sais d'où souffle le vent. Ecrits sur la danse.
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